3.18 Mise en liberté provisoire par voie judiciaire
Guide du Service des poursuites pénales du Canada
Ligne directrice du directeur émises en vertu de l’article 3(3)(c) de la Loi sur le directeur des poursuites pénales
Le 3 janvier 2020
Table des matières
- 1. Introduction
- 2. Principes généraux régissant l’exercice du pouvoir discrétionnaire
- 3. Enquête sur remise en liberté provisoire
- 4. Conditions liées à la mise en liberté
- 5. Mise en liberté avec cautions
- 6. Obligations de la couronne envers les victimes et les témoins
- 7. Confiscation de cautionnement
- Annexe A - Décision de la CSC dans Zora : Impact sur le processus de mise en liberté sous caution
1. Introduction
Au Canada, une personne accusée d’avoir perpétré une infraction criminelle et qui fait l’objet d’une arrestation peut être mise en liberté au sein de la collectivité ou être placée sous garde dans l’attente de la tenue de son procès. La décision de consentir à la mise en liberté ou de s’y opposer et de solliciter la détention d’un accusé constitue l’une des décisions les plus importantes et les plus difficiles que prennent les procureurs de la Couronne. Cette décision, qui est prise au début du processus criminel, exige de soupeser les intérêts qui pourraient entrer en conflit. Parmi ces intérêts on compte le droit à la liberté de l’accusé, la protection de la collectivité, incluant les victimesNote de bas de page 1 ou les témoins, l’intérêt de la société pour assurer la présence de l’accusé au tribunal, la réputation de l’administration de la justice ainsi que la perception du public à l’égard du processus de justice pénaleNote de bas de page 2.
Le droit de ne pas être privé sans juste cause d’une mise en liberté assortie d’un cautionnement raisonnable est un droit consacré à l’alinéa 11e) de la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte »). L’ensemble des libérations avant procès sont protégées par l’alinéa 11e)Note de bas de page 3. L’octroi ou le rejet de la mise en liberté sous caution met également en cause le droit de l’accusé à la liberté et à la sécurité de sa personne garanti à l’article 7 de la Charte et la présomption d’innocence prévue à l’alinéa 11d)Note de bas de page 4.
Les autres intérêts que la Couronne doit prendre en considération (et, ultimement, le tribunal) pour rendre cette décision importante sont reflétés dans les motifs de la décision prévus au paragraphe 515(10) du Code criminel, et incluent « la protection ou la sécurité du public, notamment celle des victimes et des témoins » (alinéa 515(10)b)). De plus, la Couronne et le tribunal doivent se préoccuper de « ne pas miner la confiance du public envers l’administration de la justiceNote de bas de page 5. »
2. Principes généraux régissant l’exercice du pouvoir discrétionnaire
La partie XVI du Code criminel établit à l’égard de l’ensemble des personnes accusées d’avoir commis au Canada une infraction criminelle, le régime de la mise en liberté provisoire, notamment par la police et les tribunaux. En 2019, le Code a été modifié en vue de codifier les principes sous-tendant les décisions prises par les agents de la paix, les juges de paix ou les juges au titre de cette même partie, qui ont été formulés dans la jurisprudence, notamment R c AnticNote de bas de page 6:
Principe de la retenue
493.1 Dans toute décision prise au titre de la présente partie, l’agent de la paix, le juge de paix ou le juge cherchent en premier lieu à mettre en liberté le prévenu à la première occasion raisonnable et aux conditions les moins sévères possible dans les circonstances, notamment celles qu’il peut raisonnablement respecter, tout en tenant compte des motifs visés aux paragraphes 498(1.1) ou 515(10), selon le cas.
Les procureurs doivent garder à l’esprit ce principe lorsqu’ils exercent leur pouvoir discrétionnaire relativement à la mise en liberté sous caution.
Dans l’affaire Morales, la Cour suprême du Canada a décrit l’article 515, une disposition importante de la partie XVI, comme étant un « système libéral et éclairé de mise en liberté avant le procès […] en vertu duquel le prévenu doit normalement être mis en liberté sous cautionNote de bas de page 7. » Plus récemment, la Cour suprême à l’unanimité a indiqué dans la décision St-Cloud : « II ne faut surtout pas oublier qu’en droit canadien, la règle cardinale est la mise en liberté de l’accusé et la détention, l’exceptionNote de bas de page 8. Il n’existe aucune catégorie d’infractions pour lesquelles la mise en liberté sous caution ne peut être accordéeNote de bas de page 9. » Elle est toujours prise en considération.
Lorsqu’ils exercent leur pouvoir discrétionnaire, les procureurs doivent examiner la pertinence des solutions de rechange à toute incarcération préalable au procès. Les limites à la liberté présumée de l’accusé sollicitées par les procureurs doivent être les moins restrictives possibles si l’on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’elles soient requises pour répondre aux trois sortes de motifs — principal, secondaire ou tertiaireNote de bas de page 10. Il faut dès lors examiner tous les scénarios possibles en matière de mise en liberté provisoire susceptibles de répondre raisonnablement à l’intérêt public pris en compte dans les motifs principaux, secondaires et tertiaires.
La décision de la Couronne de solliciter la détention ou de consentir à la mise en liberté d’une personne joue un rôle essentiel dans le fonctionnement du système de mise en liberté sous caution, comme en témoigne la citation suivante :
[Traduction] Les procureurs de la Couronne devraient exercer le pouvoir discrétionnaire de consentir à la mise en liberté sous caution dans les cas appropriés et celui de s’opposer à cette mise en liberté lorsque cela est justifié. Ce pouvoir discrétionnaire doit être exercé de façon éclairée et équitable et d’une manière conforme au courant jurisprudentiel dominant. Le poursuivant déroge à son rôle à titre de ministre de la Justice et de gardien des droits civils de tous s’il s’oppose à la mise en liberté sous caution dans tous les cas ou systématiquement lorsque le prévenu est accusé d’un crime particulier, ou en raison des désirs de la victime sans tenir compte du droit à la liberté du prévenu.
[Traduction] Puisque les services de police et de poursuite exercent un pouvoir discrétionnaire important en matière de remise en liberté du prévenu, l’administration de la justice pénale s’attend logiquement à ce qu’ils ne se bornent pas à simplement renvoyer toutes les décisions sur le cautionnement à des audiences judiciaires contestées. Non seulement cela encombre les tribunaux chargés de la mise en liberté sous caution, mais en plus, comme nous l’avons souligné, le régime législatif et constitutionnel exige de procéder autrementNote de bas de page 11. »
Le paragraphe 515(10) du Code criminel établit les motifs pour lesquels la mise en liberté sous caution peut être refusée – motif principal (alinéa 515(10)a)), motif secondaire (alinéa 515(10)b)) et motif tertiaire (alinéa 515(10)c))Note de bas de page 12. Les procureurs devraient examiner chacun de ces motifs avant de décider d’une mise en liberté sous caution ou d’un placement sous garde.
La décision de la Cour suprême du Canada dans St-Cloud établit clairement que les trois sortes de motifs peuvent chacun justifier une ordonnance de détention. On ne peut considérer le motif tertiaire comme un motif résiduel applicable uniquement lorsque les deux autres motifs de détention ne sont pas satisfaits. « Il s’agit d’un motif distinct permettant à lui seul d’ordonner la détention avant procès d’un accuséNote de bas de page 13. »
La décision de solliciter un placement sous garde ou de consentir à une mise en liberté devrait être prise en fonction de principes établis, selon des critères pertinents à l’égard des motifs énoncés à l’article 515. Les critères définis au paragraphe 3.3 du chapitre 2.3 du Guide, « La décision d’intenter des poursuites » sont considérés comme non pertinents tant à l’égard de la décision d’engager des poursuites que de celle liée à la mise en liberté sous caution. Qui plus est, les procureurs de la Couronne ne peuvent traiter comme facteur pertinent relativement à l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire le fait que la détention pourrait accroître la probabilité qu’un accusé inscrive un plaidoyer de culpabilité, prenne cette décision plus tôt ou rende probable que l’accusé accélèrera le processus judiciaire.
Les alinéas b) à e) de l’article 515(2) établissent les types de mise en liberté de plus en plus restrictifs auxquels l’on peut recourir lorsque les services de police ont décidé de ne pas mettre un accusé en liberté en vertu des articles 497 à 499. On considère que les alinéas a) à e) du paragraphe 515(2) interprétés de pair avec le paragraphe 515(2.01), consacrent le « principe de l’échelleNote de bas de page 14. » En vertu de l’article 515(2.01), un juge de paix ne peut rendre une ordonnance imposant des formes plus sévères de mise en liberté que celles démontrées par la Couronne comme étant nécessaires. La Cour suprême du Canada a décrit à l’unanimité le dernier principe dans la décision Antic, indiquant que « chacune des dispositions des al. 515(2)a) [désormais le sous-alinéa 515(2)b), postérieurement aux modifications prévues dans le projet de loi C-75 entrées en vigueur le 18 décembre 2019] à 515(2)e) prévoit pour l’accusé des conditions de mise en liberté plus contraignantes que celles énoncées par la disposition qui précède. »Note de bas de page 15
Même si le droit n’est pas encore bien établi à cet égard, on préfère l’idée selon laquelle le principe de l’échelle s’applique même dans les cas du renversement du fardeau de la preuveNote de bas de page 16. En pratique, cela signifie que lorsque les accusés placés dans une situation où il y a renversement du fardeau de la preuve tentent de démontrer pourquoi ils devraient être mis en liberté, ils peuvent commencer par plaider en faveur de la forme de mise en liberté la moins contraignanteNote de bas de page 17.
Dorénavant en vertu de l’article 515(2.02) du projet de loi C-75, le juge de paix préfère l’obligation de s’engager à verser une somme d’argent à celle du dépôt d’une somme d’argent si le prévenu ou le cas échéant la caution possèdent des biens recouvrables par des moyens raisonnables. Voici ce qu’a indiqué la Cour suprême dans la décision Antic : « Le législateur a inclus le dépôt d’argent dans les < échelons > les plus sévères de l’échelle en vue d’offrir une plus grande souplesse, et non parce que l’argent est plus efficace que d’autres conditions de mise en liberté pour faire respecter les conditions de la mise en liberté sous caution. L’engagement crée la même incitation financière que le dépôt d’argent pour assurer le respect par l’accusé des conditions de sa mise en liberté. »Note de bas de page 18 Un cautionnement en espèces permet une certaine souplesse lorsqu’un engagement est inapproprié et que l’on ne peut recourir à une caution. La plupart des cautionnements prennent généralement la forme d’engagements non assortis du versement d’une somme d’argent ou d’une caution. Néanmoins il y a des cas dans lesquels un niveau plus élevé de cautionnement est nécessaire en vue d’assurer la comparution de l’accusé ou d’empêcher la commission d’autres infractions que ce soit à la suite d’une entente entre les parties ou d’une ordonnance judiciaire. On ne peut ordonner le versement d’une somme d’argent que si l’accusé réside dans un rayon de 200 km de lieu de l’arrestation ou sur consentement de la Couronne.
Il y a toujours la crainte, en particulier pour ce qui est des affaires de moindre importance, qu’un accusé n’aura pas accès à des liquidités, même si le montant a été fixé en fonction des moyens dont témoigne l’accusé et qu’un cautionnement en espèces donnera lieu au refus de la mise en liberté sous caution pour cause d’indigence, autrement dit, sans motif valable. En vue d’empêcher ce risque très réel, l’ordonnance devrait permettre en ce qui concerne les cautionnements en espèces de montant moindre, le dépôt d’une somme d’argent ou d’un engagement. Autrement dit, le cautionnement devrait être suffisamment souple pour accroître les chances de satisfaire aux conditions au lieu d’entrainer une détention par défaut. Si le montant de la somme a été fixé à 500 $, alors l’ordonnance de cautionnement devrait permettre un dépôt d’argent ou d’un engagement de 500 $.
Il ne convient pas de s’opposer à une mise en liberté sous caution simplement pour permettre à la police ou à un organisme d’enquête de terminer une enquête. Toutefois, lorsque les services de police poursuivent l’enquête après l’arrestation, il est légitime de se demander si l’accusé, en liberté, pourrait nuire à l’enquête, en détruisant la preuve, en subornant les témoins ou en portant atteinte à l’administration de la justice. De telles préoccupations pourraient être pertinentes relativement au motif secondaire de détention, comme le prévoit l’alinéa 515(10)b) du Code.
Les procureurs de la Couronne doivent tenir compte de chaque critère énoncé à l’alinéa 515(10)c) afin de déterminer s’il faut se fonder sur le troisième motif pour solliciter la détention, et ils doivent étayer chacun d’entre eux lorsqu’ils présentent des observations relatives à la détention, de sorte que le juge des faits puisse se conformer au paragraphe 515(5)Note de bas de page 19. Dans la décision Dang, une affaire postérieure à la décision St-Cloud, le juge Trotter, en révision d’une ordonnance de détention fondée à la fois sur des motifs secondaires et tertiaires, a noté que lorsque l’on traite d’un motif tertiaire [TRADUCTION] « le plan de mise en liberté du prévenu peut être pertinent à la question de savoir si la confiance du public à l’égard de l’administration de la justice peut être maintenue si le prévenu est libéréNote de bas de page 20. »
2.1 Exercice du pouvoir discrétionnaire de la couronne et les accusés autochtones
À la suite du titre : « Principe et facteurs », figure un énoncé de principe additionnel, portant plus précisément sur les prévenus autochtones et les populations vulnérables, s’ajoute après l’art. 493.1, sous le titre :
Prévenus autochtones et populations vulnérables
493.2 Dans toute décision prise au titre de la présente partie, l’agent de la paix, le juge de paix ou le juge accorde une attention particulière à la situation :
a) des prévenus autochtones;
b) des prévenus appartenant à des populations vulnérables qui sont surreprésentées au sein du système de justice pénale et qui souffrent d’un désavantage lorsqu’il s’agit d’obtenir une mise en liberté au titre de la présente partie.
Dans Gladue, la Cour suprême du Canada a reconnu que le refus de libérer sous caution les personnes autochtones constituait une « tendance institutionnelle déplorable à refuser les cautionnementsNote de bas de page 21. » Dans Summers, cette même Cour a indiqué ce qui suit : « Mentionnons le cas des Autochtones, qui risquent davantage que les autres Canadiens de se voir refuser la mise en liberté sous caution et qui forment une partie disproportionnée des délinquants en détention préventiveNote de bas de page 22. » La Cour a ensuite indiqué ce qui suit dans la décision Myers : « les Autochtones sont surreprésentés parmi la population en détention provisoire et ils représentent environ le quart de tous les adultes se trouvant dans cette situationNote de bas de page 23. »
La décision des procureurs de la Couronne de s’opposer ou de consentir à une mise en liberté doit tenir compte des antécédents de l’accusé ainsi que des facteurs de risque. Il faut prêter une attention particulière aux facteurs propres aux Autochtones et tenir compte de ceux énoncés dans Gladue qui sont pertinents à l’égard de la mise en liberté sous caution pour décider de solliciter la détention ou de consentir à la mise en liberté. Au cours de l’audience, les procureurs devraient également être prêts à engager un dialogue avec le juge sur les répercussions des facteurs énoncés dans GladueNote de bas de page 24, décision dans laquelle en matière de détermination de la peine la Cour a indiqué ce qui suit :
[…] le juge chargé de prononcer la peine d’un délinquant autochtone doit prêter attention aux facteurs historiques et systémiques particuliers qui ont pu contribuer à ce que ce délinquant soit traduit devant les tribunaux. Dans les cas où de tels facteurs ont joué un rôle important, il incombe au juge de la peine d’en tenir compte pour déterminer si l’incarcération aurait réellement un effet de dissuasion et de dénonciation du crime qui aurait un sens dans la communauté à laquelle le délinquant appartient. Dans bien des cas, les principes correctifs de détermination de la peine deviendront les plus pertinents pour la raison précise qu’il n’y a aucun autre moyen d’assurer la prévention du crime et la guérison individuelle et socialeNote de bas de page 25. »
Pour permettre l’application de cette approche à la mise en liberté sous caution, les procureurs doivent se demander si les facteurs historiques et systémiques particuliers de l’accusé ont contribué à créer des circonstances ayant soulevé des questions au sujet des motifs principal, secondaire et tertiaire. Par exemple, il faudrait examiner plus en détail les antécédents en matière de manquements à des ordonnances judiciaires, notamment à l’obligation de se présenter, pouvant justifier une détention ou l’imposition de conditions particulières de mise en liberté sous caution par la Couronne, en vue de déterminer si les causes premières de la violation étaient de nature systémique et si l’on pourrait y remédier par consentement d’une mise en liberté sous certaines conditions. Par exemple, des facteurs d’apparence neutres susceptibles d’influencer la décision de solliciter la détention dans d’autres circonstances, comme le chômage, un manque de stabilité en matière de logement ou des cautions sans moyens importants, peuvent simplement refléter des conditions sociales dans une collectivité donnée. On encourage les procureurs à discuter avec les avocats de la défense en vue de trouver des solutions de rechange pour répondre aux préoccupations sous-jacentes que de tels facteurs pourraient normalement susciter à l’égard des motifs principal, secondaire ou tertiaire.
Lorsque les procureurs exercent leur pouvoir discrétionnaire relativement à la mise en liberté sous caution, ils doivent, le cas échéant, prendre en considération la participation des accusés autochtones au sein de la communauté dont ils sont membres. Les procureurs doivent en tenir compte et encourager une telle participation. Lorsque cette dernière est significative, cela se ressent au niveau de leur comparution, du respect qu’ils ont à l’égard du processus judiciaire, de la protection de la sécurité publique et de la confiance envers l’administration de la justice. Reconnaître le rôle de la communauté dans le cadre de ces préoccupations permet également de favoriser une réponse collaborative de nature non coloniale aux inquiétudes communes liées au système de justice pénale. Par exemple, la participation de la communauté ou des Aînés au lieu d’une mise en liberté sous caution permettrait l’imposition de conditions de mise en liberté personnalisées qui tiendrait compte de manière appropriée des motifs principal et secondaire et éviterait, en ce qui concerne les accusés autochtones vivant dans des régions éloignées, les préjudices à long terme causés par leur éloignement communautaire et familial.
En ce qui concerne le motif tertiaire, en plus d’examiner les circonstances propres aux accusés membres d’une communauté autochtone, il faudrait également se pencher sur la victimisation des membres vulnérables d’une telle communauté et sur les répercussions sur cette dernière ainsi que sur la société en général lorsqu’un crime est perpétré contre euxNote de bas de page 26.
3. Enquête sur remise en liberté provisoire
La nature de l’enquête sur remise en liberté provisoire et comment l’aborder ont été décrites avec justesse par le juge Hill dans VillotaNote de bas de page 27 :
[Traduction] Même si une audience de justification n’est pas un procès, il s’agit toutefois d’une procédure contradictoire. Néanmoins, comme l’a indiqué cette Cour, la conduite ordonnée des enquêtes sur remise en liberté provisoire bénéficiera de la bonne volonté et la collaboration des avocats : Regina c John, [2001] OJ No 3396 (QL) (SCJ), aux para 32 et 54 [sommaire : 51 WCB (2d) 24]. Des observations analogues ont été formulées dans d’autres documents : Rapport du Comité consultatif du procureur général sur le contrôle des accusations, la divulgation de la preuve et les discussions en vue d’un règlement (Rapport du Comité Martin, 1993) aux p. 44 et 45; Report of the Criminal Justice Review Committee, supra, aux pp. 5, 102 et 104. Le formalisme et le manque de souplesse ne sont guère souhaitables. Le professeur Trotter dans The Law of Bail in Canada, supra, à la p. 198, indique à juste titre qu’il faut dans l’audience sur cautionnement trouver une solution à l’antinomie entre équité et efficacité. Comme l’indique le Rapport du Comité Martin à la p. 45, vu les dépendances coopératives dans l’administration des procédures pénales, chacun des participants possède de manière indépendante le pouvoir d’annuler la viabilité continue du système. Dans les limites raisonnables, la procédure d’enquête de mise en liberté devrait être suffisamment souple pour favoriser une audience rapide et équitable.
Aux termes de l’alinéa 518(1)e) du Code criminel, le juge de paix peut recevoir toute preuve qu’il considère « plausible ou digne de foi » dans les circonstances de l’espèce et fonder sa décision sur cette preuve. En dépit de la portée apparente de cette description, le procureur ne doit pas, dans une audience de justification, présenter une preuve dont la Couronne sait qu’elle n’est pas disponible, ou peu fiable.
Les procureurs de la Couronne doivent veiller à ce que les décisions importantes touchant la mise en liberté sous caution soient fondées sur des renseignements suffisamment crédibles et dignes de foi concernant l’accusé et l’infraction. Il n’est pas rare que l’on arrête une personne avant que l’enquête soit complétée. S’il faut d’autres renseignements pour éclairer la prise de décision de la Couronne ou pour les présenter à l’audience, les procureurs peuvent demander un ajournement des procédures de mise en liberté sous caution. Le paragraphe 516(1) permet des ajournements de procédures jusqu’à concurrence de trois jours francs, sauf si l’accusé consent à un ajournement plus long. Les procureurs de la Couronne ne doivent pas demander des ajournements d’une enquête sur cautionnement à des fins de commodité administrative ou pour obtenir des éléments de preuve inutiles à l’audience de remise en liberté provisoire.
Le procureur doit adopter de manière indépendante la position de la Couronne sur la mise en liberté sous caution. Toutefois, dans la mesure du possible, le procureur consultera les services de police et les organismes d’enquête pertinents au sujet de la mise en liberté ou la détention du prévenu, particulièrement en ce qui concerne la sécurité des victimes et des témoins. Dans de tels cas, le procureur devrait songer à consulter les victimes et les témoins avant de mener l’enquête sur le cautionnement.
4. Conditions liées à la mise en liberté
Les paragraphes 515(4) à (4.2) établissent les types de conditions qu’un juge peut (et dans certains cas doit) imposer relativement à la mise en liberté. Les conditions que recherchent les procureurs de la Couronne, s’il y a lieu, [TRADUCTION] « doivent être les conditions les moins restrictives qui permettent d’assurer la sécurité publique, la présence à la cour, ainsi que le respect de l’administration de la justice, comme le prévoit le paragraphe 515(10) Note de bas de page 28. » Les procureurs de la Couronne [TRADUCTION] « doivent faire preuve de diligence pour veiller à ce que les conditions rattachées aux ordonnances judiciaires de mise en liberté provisoire soient raisonnables, nécessaires et liées directement aux :
- circonstances entourant l’infraction présumée;
- circonstances de l’accusé;
- motifs principal, secondaire et tertiaireNote de bas de page 29;
- dispositions prévues au Code criminelNote de bas de page 30. »
Les paragraphes 515(4.2) et (4.3) prévoient la délivrance d’ordonnances particulières visant la protection de toute personne, notamment les victimes, les témoins ou les personnes associées au système judiciaire relativement à certaines infractions définies dans ces dispositions. Voir également le Guide du SPPC pour des directives plus détaillées : paragraphe 3.2 « Mise en liberté provisoire » au chapitre 5.5 « Violence conjugale » et au paragraphe 4.4 « Enquête sur le cautionnement » du chapitre 5.6 « Victimes d’actes criminels ».
Les procureurs de la Couronne ne doivent pas tenter d’imposer des conditions visant à punir l’accusé ou à le réformer. Ces objectifs ne sont pas conformes à la présomption d’innocence. Les conditions devraient, tel qu’indiqué, être établies soigneusement pour répondre au critère prévu pour la mise en liberté sous caution. Les procureurs doivent faire montre de retenue lorsqu’ils demandent des conditions qui pourraient être impossibles à respecter par l’accusé, à moins qu’elles ne soient nécessaires à la mise en liberté de l’accusé dans la collectivité, conformément au critère établi pour le cautionnement. L’Association canadienne des libertés civiles a noté les conséquences générales qui découlent de conditions inutilement restrictives : [TRADUCTION] « Les tribunaux chargés des cautionnements doivent mieux comprendre comment les conditions de mise en liberté sous caution – en particulier les ordonnances de non-communication, les couvre-feux et les ordonnances d’exclusion de zone ou limitant les déplacements – peuvent, de façon importante et injustifiée, porter atteinte à un grand nombre de droits constitutionnelsNote de bas de page 31 ».
5. Mise en liberté avec cautions
« La présence d’un garant possible en Cour n’est pas une condition préalable juridictionnelle ou essentielle à la conduite d’une enquête sur mise en liberté provisoire par voie judiciaireNote de bas de page 32. » Les procureurs devraient demander le recours à un garant aux fins de la mise en liberté de l’accusé uniquement lorsque nécessaire. Plusieurs accusés ne peuvent trouver un garantNote de bas de page 33. Même ceux qui le peuvent y parviennent avec difficulté quand ils sont sous garde, ce qui prolonge la détention.
La mise en liberté avec cautions ne devrait pas constituer l’option par défaut ou le point de départ de la mise en liberté. Le principe de l’échelle commande plutôt d’examiner les formes de mise en liberté les moins onéreuses prévues au paragraphe 515(2) et de les rejeter avant d’exiger la mise en liberté avec cautionsNote de bas de page 34.
Les procureurs ont un rôle à jouer pour aider le tribunal à déterminer si la caution proposée est satisfaisante. Ils devraient prendre les mesures appropriées pour s’assurer que la caution proposée convient et comprend son rôleNote de bas de page 35. Les procureurs disposent de plusieurs options pour aider à déterminer la pertinence des cautions proposées. Le procureur pourrait poser des questions à l’organisme d’enquête, ou aux témoins appelés à l’audience sur le cautionnement. Ce n’est pas le rôle de la Couronne de fournir un avis juridique à la caution proposée. Cependant, il pourrait être approprié d’aiguiller la caution vers des renseignements fournis par le gouvernement au sujet du rôle d’une cautionNote de bas de page 36.
Même si la pratique est courante dans certaines juridictions, en règle générale, les garants ne sont pas tenus de témoigner au cours d’enquête sur la remise en liberté provisoire. Le rôle des procureurs consiste, par le biais d’interrogatoires, parfois même vigoureux, à aider le tribunal à déterminer si le garant proposé peut répondre adéquatement au motif particulier susceptible de faire obstacle à la mise en liberté de l’accusé sans caution. Les procureurs devraient éviter d’avoir des idées préconçues quant à la nature de la relation requise pour garantir une supervision adéquate par la caution. Les procureurs de la Couronne ne devraient ni systématiquement insister sur leur présence en Cour à l’enquête sur remise en liberté provisoire, ni automatiquement ajourner l’enquête aux fins de leur présenceNote de bas de page 37. Pour bon nombre de garants, le processus a des effets perturbateurs, car ils doivent par exemple s’absenter du travail pour comparaitre. Les procureurs devraient voir si une autre option au témoignage de la caution pourrait aider le tribunal à déterminer s’il convient d’exiger un garant ou une personne en particulier comme garant.
Toutefois, dans certains cas, il pourrait convenir de demander au garant de témoigner, par exemple lorsque l’accusé propose de vivre avec lui.
6. Obligations de la couronne envers les victimes et les témoins
Les victimes ainsi que les témoins peuvent avoir un intérêt important dans la mise en liberté d’un accusé. Les procureurs de la Couronne devraient être au fait de l’intérêt des victimes et des témoins à l’égard de la libération sous cautionnement de l’accusé, en particulier dans les situations où la conduite derrière les accusations laisse supposer une menace potentielle pour la victime ou le témoin. On devrait prêter une attention particulière à cette question dans les petites collectivités ou les communautés éloignées dans lesquelles il pourrait s’avérer nécessaire de prévoir des conditions de mise en liberté provisoire sous caution plus explicites concernant la manière dont on évite le risque d’interactions menaçantes compte tenu du nombre limité de commodités publiques et d’autres logements facilement accessibles. L’alinéa 515(4)d) prévoit une ordonnance de non-communication comme condition de mise en liberté. Le paragraphe 515(12) permet au juge, même lorsque l’accusé est détenu, d’ordonner au prévenu de s’abstenir de communiquer avec une victime ou toute autre personne identifiée dans l’ordonnance. Le paragraphe 515(13) exige du juge de verser au dossier une déclaration selon laquelle il a « pris en considération la sécurité des victimes de l’infraction dans sa décision ».
Le procureur de la Couronne doit communiquer aux victimes et aux témoins des renseignements sur la mise en liberté sous caution afin d’assurer qu’ils sont au fait du statut de détention de l’accusé après l’enquête sur le cautionnement. Le paragraphe 515(14) prévoit que le juge remette une copie de l’ordonnance à toute victime d’actes criminels sur demande de celle-ci. Voir le chapitre 5.6 du Guide sur les « victimes d’actes criminels » au paragraphe 4.3 « Enquête sur le cautionnementNote de bas de page 38. »
7. Confiscation de cautionnement
La partie XXV du Code criminel, « Effet et mise à exécution des engagements », fournit le cadre juridique et procédural pour l’application des engagements, notamment la confiscation de l’engagement : art 771.
Dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire de déterminer s’il y a lieu d’intenter des procédures de confiscation, le procureur de la Couronne doit tenir compte des facteurs suivants :
- la nécessité de protéger l’intégrité du système de justice;
- la gravité de l’accusation;
- la question de savoir si la confiscation est pratique compte tenu des circonstances particulières de la cause;
- le degré de faute de toute caution eu égard au défaut de l’accusé de se conformer à l’ordonnance et tous les efforts réalisés par cette caution pour rendre l’accusé incapable.
Annexe A - Décision de la CSC dans Zora : Impact sur le processus de mise en liberté sous caution
Memorandum / Note de service
TO / DEST: All PPSC Counsel // Tous les procureurs du SPPC
FROM / ORIG: George Dolhai, David Antonyshyn, Deputy Directors of Public Prosecutions // Directeur adjoint des poursuites pénales
SUBJECT / OBJET: SCC decision in Zora : Impact on the bail process // Décision de la CSC dans Zora : Impact sur le processus de mise en liberté sous caution
July 9, 2020 / Le 9 juillet 2020
Dans R. c. Zora, 2020 CSC 14, rendu le 18 juin 2020 (9- 0), la Cour suprême du Canada juge à l’unanimité que la violation de conditions de mise en liberté sous caution, une infraction visée au par. 145(3) du Code criminel, exige la preuve d’une mens rea subjective (par opposition à une mens rea objective), formule le critère applicable à la norme de l’« insouciance » pour de telles poursuites et fournit des directives générales sur la procédure de mise en liberté provisoire.
Faits et historique judiciaire
Le juge du procès utilise une norme objective modifiée pour condamner M. Zora d’avoir omis de répondre à la porte de sa résidence pour vérification de couvre-feu. Depuis R. c. Ludlow, 1999 BCCA 365, la preuve d’une mens rea objective suffisait aux fins du par. 145(3) en Colombie-Britannique. Dans cette affaire, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique avait refusé de suivre la Cour d’appel de l’Ontario dans R. c. Legere (1995), 22 O.R. (3d) 89, qui juge qu’une mens rea subjective s’applique au par. 145(3).
Une majorité de la Cour d’appel (4-1) réaffirme l’interprétation exigeant une norme objective ; la juge dissidente affirme plutôt la présomption de mens rea subjective, mais partage la conclusion de la majorité vu l’insouciance démontrée par M. Zora qui savait ne pouvoir entendre la sonnette de la maison sans tenter d’y remédier.
La Cour suprême du Canada juge qu’une mens rea subjective s’applique au par. 145(3), accueille l’appel, annule les déclarations de culpabilités de M. Zora et ordonne la tenue d’un nouveau procès pour les deux chefs d’accusation d’omission de se présenter à la porte de son domicile.
Objet de cette note de service
Bien que la question en Cour suprême ait porté sur la nature de la mens rea applicable au par. 145(3), la juge Martin, s’exprimant pour la Cour, procède à une analyse générale du système de mise en liberté sous caution afin de « reprendre le cadre énoncé dans l’arrêt Antic [2017 CSC 27] pour donner des indications sur l’imposition de conditions non pécuniaires de mise en liberté sous caution » [par. 81]. Par conséquent, l’arrêt Zora comporte des directives essentielles aux procureurs dans trois domaines : (1) l’imposition de conditions ; (2) la décision de porter une accusation plutôt que de demander un mandat en vertu de l’art. 512.2, et une annulation aux termes de l’art. 524 ; (3) les éléments de preuve de l’infraction.
Cette note souligne les principes de l’arrêt Zora ayant un impact sur le processus de mise en liberté sous caution avec renvoi aux chap. 3.18 (Mise en liberté provisoire par voie judiciaire) et 3.19 (Conditions de libération provisoire visant les surdoses d’opioïdes) du Guide du SPPC, qui traitent déjà de ces principes, dont la retenue, la non-discrimination, la mise en liberté à la première occasion raisonnable, les risques énumérés au par. 515(10), le principe de l’échelle ainsi que l’attention particulière à l’égard des autochtones et des populations vulnérables et marginalisées.
Conséquences de l’analyse de la Cour pour les procureurs
1. Détermination des conditions de mise en liberté
Les principes qui suivent sont d’une importance capitale et doivent être appliqués par les procureurs de l’État dans leur gestion de la procédure de mise en liberté provisoire :
- Le Code prévoit à titre de position par défaut la mise en liberté sans condition. Seules l’obligation de se présenter à la cour et les conditions prévues aux par. 515(4.1) à (4.3) peuvent être ajoutées de façon routinière. Toute autre condition doit strictement cibler les risques précis mentionnés au par. 515(10) [par. 83 à 88].
- Il convient de tenir particulièrement compte de la situation des délinquants marginalisés et des personnes atteintes de troubles mentaux. Toute condition qui, de façon réaliste, ne peut être respectée est déraisonnable, dont l’interdiction de consommer alcool et drogues. Aussi, toute condition visant à réhabiliter ou à traiter une dépendance ou toute autre maladie n’est appropriée que si nécessaire pour répondre aux risques précis que pose le prévenu aux termes du par. 515(10) [par. 87, 92 ; Chap. 3.19(1) à (2) et 3.18(4)].
- Le principe de retenue doit guider l’action de tous les intervenants à la mise en liberté sous caution. Les procureurs devraient éviter de subordonner leur consentement à la mise en liberté à une politique du « tout ou rien ». Les procureurs peuvent demander à l’avocat de la défense des renseignements supplémentaires au sujet de l’alcoolisme, de la toxicomanie ou de toute autre trouble mental affligeant le prévenu pour juger du caractère raisonnable du plan de mise en liberté.
- Même lorsque le prévenu accepte de se conformer aux conditions, le procureur se doit de justifier les conditions de mise en liberté proposées à l’entité judiciaire sur laquelle échoit l’obligation ultime de veiller à ce que les conditions soient appropriées [par. 78, 92, 100 à 104 ; Chap. 3.19(1) à (2) et 3.18(4)]. En cas de fardeau inversé, il incombera au prévenu de justifier les conditions proposées, en fonction des principes de retenue et de mise en liberté sans condition comme point de départ.
- La Cour juge problématiques certaines conditions, notamment : « ne pas troubler l’ordre public et avoir bonne conduite » [par. 94] ; l’assujettissent du prévenu à un pouvoir de fouille selon une norme inférieure à celle de la Charte [par. 98] ; l’abstinence et l’interdiction de posséder des accessoires de consommation de drogues [par. 92, 97 ; Chapitre 3.19] ; la réadaptation ou le traitement de même que l’obéissance aux règles d’un établissement de traitement [par. 93 à 95 ; Chap. 3.18(4)] ; l’interdiction de territoire (« zone rouge ») empêchant l’accès à des services essentiels ou aux réseaux de soutien des prévenus [par. 97 ; Chap. 3.19(1) à (2)].
ORIENTATION :
- Le recours à des listes de vérification pour passer en revue les conditions possibles de mise en liberté sous caution ne pose pas problème [par. 88], mais les procureurs devraient répondre aux cinq questions énumérées ci-dessous par souci de se conformer au principe de retenue [par. 101 ; Chap. 3.18(2) et 3.18(4)].
- Au paragraphe 89, la Cour énonce les cinq questions qui structurent l’analyse :
- Si elle est libérée sans condition, la personne prévenue poserait-elle un risque précis prévu par la loi qui justifie l’imposition de conditions de mise en liberté sous caution ?
- La condition est-elle nécessaire ?
- La condition est-elle raisonnable ?
- La condition est-elle suffisamment liée aux motifs de détention prévus à l’alinéa 515(10) c) ?
- Quel est l’effet cumulatif de toutes les conditions ?
- La condition de « ne pas troubler l’ordre public et avoir une bonne conduite » ne devrait pas être incluse à l’avenir ; il est d’ailleurs peu probable qu’elle réponde à la norme d’approbation des accusations du SPPC pour les accusations portées en application du par. 145(3). Les procureurs doivent faire preuve de prudence en imposant les autres conditions susmentionnées et doivent s’assurer d’un lien clair entre la condition et les risques prévus au par. 515(10). Toutes les circonstances personnelles du prévenu doivent être prises en compte [Chap. 3.19 et 3.18(2), (2.1) et (4)].
- Il est recommandé de procéder à un examen systématique des ordonnances en vigueur de mise en liberté comportant des conditions potentiellement problématiques (autres que la seule condition de « ne pas troubler l’ordre public et avoir une bonne conduite »). Par ailleurs, les procureurs devraient tenir compte, à la lumière de l’arrêt Zora, des préoccupations exprimées par les accusés, et tenter de les régler en ayant recours aux dispositions du Code permettant la modification des conditions de la mise en liberté, soit les art. 502, 519.1, 520, 521 et 523.
2. Décision d’inculper (par. 145(3)) ou de demander l’annulation (art. 524)
- La Cour qualifie le par. 145(3) de mesure de dernier recours pour « sanctionner des comportements répréhensibles » lorsque les autres outils de gestion du risque n’atteignent pas leur but [par. 69]. L’objet principal du par. 145(3) ne consiste pas à gérer un risque futur, mais à sanctionner un comportement passé et à dissuader d’autres manquements [par. 72]. Le par. 145(3) devrait être réservé aux manquements à une conduite criminelle, causant un tort à autrui ou constituant une menace pour autrui [par. 70].
- La Cour identifie l’annulation en vertu de l’art. 524 comme étant le principal moyen d’imposer les conditions de mise en liberté afin d’atténuer les risques visés au par. 515(10), « ce qui peut donner lieu à une libération aux mêmes conditions avec un comportement différent attendu de la part de la personne prévenue, une modification des conditions ou une détention » [par. 63]. L’annulation peut porter sur les violations négligentes de la mise en liberté, sans créer de responsabilité pénale supplémentaire. L’entité judiciaire peut « examiner si l’ordonnance de mise en liberté originale était appropriée et elle peut retirer ou restreindre des conditions de cette ordonnance » [par. 66 à 68].
ORIENTATION :
- Les chapitres 3.18 et 3.19 du Guide affirment le principe selon lequel les poursuites en vertu du par. 145(3) constituent un dernier recours, tout en accordant une attention particulière à la surreprésentation des détenus autochtones et appartenant à des groupes vulnérables dans le système de justice pénale [Chap. 3.18(2.1)].
- Les procureurs devraient utiliser l’art. 524 comme principal mécanisme d’application de la loi et de gestion des accusés qui ne peuvent ou ne veulent pas se conformer à leurs conditions de mise en liberté, même lorsqu’un prévenu a souvent été visé par des ordonnances rendues en vertu de l’art. 524. Les accusations aux termes du par. 145(3) ne devraient être portées qu’en cas de comportement criminel ou qui nuit ou menace directement des personnes et s’il est conforme à la norme d’approbation des accusations du SPPC quant au critère de la mens rea subjective (décrit plus bas).
- Toute accusation déjà portée en application du par. 145(3) devrait être réévaluée à la lumière du critère de la mens rea subjective de l’arrêt Zora.Compte tenu des limites imposées quant à l’utilisation appropriée de cette disposition, il faudrait examiner davantage le rôle du nouveau processus désigné sous « comparution pour manquement » prévu à l’art. 523.1.
3. Preuve de la mens rea pour l’infraction prévue au par. 145(3)
- Appliquant la règle moderne d’interprétation, la Cour conclut que le par. 145(3) requiert une mens rea subjective. Bien que le libellé du par. 145(3) soit neutre, l’objet et l’économie de la loi non seulement ne renversent pas la présomption d’intention subjective applicable aux crimes, mais en renforcent l’exigence [par. 32-80, 107].
- Constatant une certaine dispute jurisprudentielle concernant la nature de la norme subjective, la Cour propose une définition détaillée du fardeau incombant au poursuivant qui doit prouver, hors de tout doute raisonnable, que l’accusé a enfreint une condition, sciemment ou par insouciance [par. 108 à 119].
- Désormais, les procureurs doivent prouver les éléments suivants prescrits par la Cour :
- [109] […] 1. La personne prévenue connaissait les conditions de sa mise en liberté sous caution ou faisait preuve d’aveuglement volontaire à leur égard ;
- 2. La personne prévenue a sciemment omis d’agir conformément aux conditions de sa mise en liberté sous caution, c’est‑à‑dire qu’elle connaissait les circonstances qui exigeaient qu’elle se conforme aux conditions de l’ordonnance dont elle faisait l’objet, ou qu’elle faisait preuve d’aveuglement volontaire face aux circonstances, et qu’elle a omis de se conformer aux conditions malgré le fait qu’elle les connaissait ; ou
- La personne prévenue a par insouciance omis d’agir conformément aux conditions de sa mise en liberté sous caution, c’est‑à‑dire qu’elle était consciente qu’il y avait un risque important et injustifié que sa conduite ne respecte pas les conditions de sa mise en liberté sous caution, mais qu’elle n’a pas cessé d’agir de la sorte.
- La Cour explique comment évaluer un « risque injustifié et important » pour appliquer la norme de l’insouciance adoptée dans R. c. Hamilton, 2005 CSC 47 pour l’infraction inchoative d’avoir conseillé la perpétration d’actes criminels; elle écrit à cet effet :
- [118] […] L’étendue du risque, ainsi que la nature du préjudice, la valeur sociale se rattachant au risque et la facilité avec laquelle le risque pourrait être évité sont toutes des considérations pertinentes ... Même si les juges du procès évalueront si un risque est injustifié en fonction de ces considérations, puisque l’insouciance est une norme subjective, l’accent doit être mis sur la question de savoir si la personne prévenue avait conscience du risque important qu’elle prenait et de tout facteur faisant en sorte que le risque n’était pas justifié.
- La Cour souligne que les tribunaux peuvent inférer de la preuve circonstancielle une faute subjective d’omission de se conformer à une condition :
- [120] Les juges des faits, après examen de l’ensemble de la preuve, peuvent être en mesure de conclure hors de tout doute raisonnable que la personne prévenue avait l’état d’esprit requis pour qu’il y ait déclaration de culpabilité, sur le fondement d’une inférence conforme au bon sens que les personnes « veulent les conséquences naturelles et probables de leurs actes ».
ORIENTATION :
- Cette norme de mens rea subjective remplace la norme objective lorsqu’appliquée auparavant, notamment en Colombie‑Britannique.
- Cette clarification de la norme de faute influence la façon dont les procureurs de l’État peuvent invoquer les antécédents fondés sur le par. 145(3) lors des enquêtes caution et de la détermination de la peine vu qu’elles ne reflètent pas le fait qu’un accusé ait des antécédents de désobéissance délibérée aux ordonnances judiciaires [par. 56].
- Aussi, la norme subjective telle que définie par l’arrêt Zora s’écarte de celle antérieurement appliquée en jurisprudence (y compris en Ontario), de sorte qu’il faut faire preuve de circonspection en référant à cette ancienne jurisprudence, vu qu’elle fournit peu d’indications sur la façon dont cette norme sera appliquée dans le contexte spécifique du par. 145(3).
- Les principes de l’arrêt Zora risquent fort d’augmenter la complexité de ces instances et nécessiteront l’examen attentif des éléments de preuve disponibles pour déterminer si les connaissances réelles, l’aveuglement volontaire ou la perception d’un risque substantiel et injustifié nécessaire pour tirer une conclusion d’insouciance peuvent être établis.
La même mens rea subjective s’applique aux infractions d’omission d’être présent au tribunal lorsque tenu de le faire prévues aux par. 145(2), (4) et (5) et à l’infraction d’omission de se conformer à une condition d’une promesse imposée par la personne autorisée à le faire selon le par. 145(5.1) du Code criminel, vu que ces dispositions utilisent un libellé semblable à celui du par. 145(3) [par. 16].
La question de savoir si la mens rea subjective décrite dans Zora s’applique également à l’infraction de bris de probation prévue à l’art. 733.1 du Code criminel risque d’être soulevée à court terme. Dans Zora, la juge Martin renvoie aux motifs de l’arrêt R. c. Docherty, [1989] 2 RCS 941 où la Cour a statué que le bris de probation exige une mens rea subjective. Le libellé de l’art. 733.1, à l’époque où Docherty a été décidé, comportait les termes « volontairement » et « refuse », qui renforcent la présomption de faute subjective. La juge Martin note que, même après que le législateur ait biffé le terme « volontairement » du libellé de l’art. 733.1, la plupart des tribunaux ont continué à interpréter cette disposition comme exigeant une mens rea subjective en invoquant le raisonnement de la Cour dans l’arrêt Docherty et le fait que le retrait du mot « volontairement » n’indique pas, à lui seul, une intention de créer une infraction de mens rea objective. Bien que la juge Martin n’affirme pas expressément que la mens rea subjective qu’elle définit dans Zora régisse aussi l’art. 733.1, son analyse pointe dans cette direction [par. 50-51].
[ Précédente | Table des matières | Suivante ]
- Date de modification :