5.5 La violence conjugale

Guide du Service des poursuites pénales du Canada

Ligne directrice de la directrice donnée en vertu de l’article 3(3)(c) de la Loi sur le directeur des poursuites pénales

Révisé le 31 janvier 2022

Table des matières

1. Introduction

La présente ligne directrice souligne l’importance de veiller à ce que la sécurité des plaignants et de leurs familles soit la préoccupation prioritaire à toutes les étapes de la poursuite.

Aux fins de la présente ligne directrice, une affaire de violence conjugale est une affaire qui a trait à une agression physique ou sexuelle, ou la menace d’une telle violence, contre un partenaire intime. Un partenaire intime comprend l’époux, le conjoint de fait, ou le partenaire amoureux, actuels ou anciens, d’une personne. La définition englobe les relations de sexe opposé et de même sexe.

2. Application de la ligne directrice

Le Service des poursuites pénales du Canada (SPPC) a compétence pour intenter des poursuites dans les cas de violence conjugale dans les trois territoires du Canada. Il incombe donc aux procureurs de la Couronne de prendre en compte les circonstances propres au Nord, notamment les Autochtones et leur histoire. En ce qui concerne les poursuites en matière de violence conjugale dans le Nord, les procureurs de la Couronne doivent être au fait de la réalité actuelle et de l’histoire des communautés autochtones éloignées ainsi que de leur incidence sur les taux de violence conjugale. Ces circonstances comprennent le fait que dans bien des petites communautés du Nord, les choix qui s’offrent aux victimes de violence conjugale sont limités, pour les raisons suivantes :

  1. Il est possible que les plaignants n’aient pas accès aux mêmes types de services de soutien que ceux habituellement offerts dans les communautés plus grandes dans le sud du Canada, comme les refuges d’urgence ou les services de counselling ;
  2. L’interdiction absolue de contact avec l’agresseur présumé dans une petite communauté isolée peut être irréaliste ;
  3. Les plaignants peuvent encore vouloir poursuivre la relation même s’ils souhaitent que la violence cesse ;
  4. Souvent, des facteurs financiers ou de subsistance peuvent avoir une incidence sur le plaignant et les enfants dans la famille ;
  5. Il n’y a pas ou peu de programmes de traitement offerts aux personnes accusées ou aux couples.

3. Le processus judiciaire

3.1.  Les considérations liées à la preuve et à la décision d’intenter des poursuites

Les procureurs de la Couronne doivent obtenir le consentement préalable du procureur fédéral en chef (PFC) ou de son délégué dans les poursuites de violence conjugale à l’égard desquelles il existe une perspective raisonnable de condamnation, lorsqu’ils proposent d’y mettre fin à la poursuite parce qu’il n’est pas dans l’intérêt public de procéder avec la poursuite.

Lorsqu’ils déterminent si l’intérêt public serait mieux servi par la tenue d’une poursuite relative à la violence conjugale, les procureurs de la Couronne doivent tenir compte des facteurs énoncés dans la ligne directrice intitulée « 2.3 La décision d’intenter des poursuites ». Les procureurs de la Couronne devraient également tenir compte des facteurs suivants :

  1. L’avis du plaignant ;
  2. La disponibilité et l’accès du plaignant aux services de soutien communautaires ;
  3. Toute indication que le plaignant a été intimidé ou menacé directement ou indirectement par l’accusé, sa famille ou ses amis en rapport avec la poursuite en question ;
  4. Tout traumatisme indu qui pourrait être causé si on force le plaignant à témoigner ;
  5. Toute indication que le plaignant commettra un parjure s’il est appelé à témoigner ;
  6. La probabilité de récidive, plus particulièrement contre le plaignant ou les enfants habitant dans le foyer ;
  7. Les efforts de l’accusé à corriger son comportement abusif par des services de counselling ou un autre traitement ou programme, y compris les programmes de guérison axés sur la culture ;
  8. Les condamnations précédentes de l’accusé pour des infractions de violence conjugale ou pour d’autres infractions de violence.

Lorsqu’il est déterminé que l’enquête de la police n’a pas fourni tous les renseignements ou tous les éléments de preuve sur ces facteurs qui pourraient être disponibles, les procureurs de la Couronne devraient l’aviser par écrit, le plus tôt possible, que la preuve est incomplète.

Une note expliquant les motifs de toute décision de mettre fin à une poursuite liée à la violence conjugale doit être consignée au dossier et envoyée au PFC ou à son délégué.

Dans tous les cas où une poursuite liée à la violence conjugale est arrêtée, les procureurs de la Couronne devraient faire tout ce qui est raisonnable afin de communiquer leur décision à la police et au plaignant avant qu’elle ne le soit. Dans les cas exceptionnels où ce n’est pas possible, ceci devrait être fait dès que possible par la suite.

3.2. Mise en liberté provisoire

Dans certains cas, il est possible que la victime de violence conjugale veuille se réconcilier avec l’accusé et que celui-ci soit remis en liberté. Afin de déterminer quelle position prendre à l’étape de la mise en liberté provisoire, les procureurs de la Couronne doivent s’assurer, lorsqu’ils se penchent sur les volontés de la victime, que celles-ci ne l’emportent pas sur des préoccupations graves et objectives relatives à la sécurité de la victime et des membres de la famille.

Les plaignants dans les affaires de violence conjugale peuvent être réticents à coopérer avec le poursuivant. Même si l’avis du plaignant est pertinent, ce sont les procureurs de la Couronne qui sont responsables de la poursuite et des décisions devant être prises à l’étape de la mise en liberté provisoire.

Lorsqu’ils évaluent la position à adopter quant à la mise en liberté provisoire, les procureurs de la Couronne doivent tenir compte de la sécurité du ou des plaignants et des enfants et ce, peu importe à qui incombe le fardeau de preuve à cette étape. Lorsqu’ils prennent position quant à la mise en liberté provisoire, les procureurs de la Couronne doivent également tenir compte du principe et des facteurs énoncés à l’article 493.1. En vertu de cette disposition, il faut chercher en premier lieu à mettre le prévenu en liberté aux conditions les moins sévères possibles, en accordant une attention particulière à la situation des accusés autochtones et ceux appartenant à des populations vulnérables. Au titre de l’article 515(3), le juge de paix qui rend une décision en matière de mise en liberté provisoire doit tenir compte du fait que le prévenu est accusé d’une infraction de violence contre son partenaire intime. 

Au besoin, les procureurs de la Couronne ne devraient pas hésiter à demander des renseignements supplémentaires pertinents à la police ou à l’avocat de la défense. Ces renseignements pourraient aider à déterminer les conditions de remise en liberté appropriées ou à préparer les représentations en vue de l’enquête sur remise en liberté.

Les procureurs de la Couronne devraient s’opposer à la mise en liberté de l’accusé si elle implique un risque déraisonnable pour le plaignant. Lorsque le juge conclut que l’accusé peut être mis en liberté, certaines restrictions seront habituellement imposées afin d’assurer la sécurité du plaignant et de préserver l’intégrité de la poursuite. Si les circonstances l’exigent, les procureurs de la Couronne devraient envisager de recommander les conditions suivantes :

  1. Une interdiction de communiquer directement ou indirectement avec le plaignant ;
  2. Si la cour est disposée à permettre à l’accusé de communiquer avec les enfants, des modalités d’accès par l’entremise d’une tierce partie impartiale ;
  3. Des conditions interdisant à l’accusé de se rendre à la résidence ou au lieu de travail du plaignant, ou près de ces endroits ;
  4. Une condition exigeant la remise de toutes les armes à feu, les munitions, les explosifs et les permis d’armes à feu ;
  5. Si une condition limitant la consommation d’alcool et de drogue est envisagée, les procureurs de la Couronne doivent examiner le lien entre la consommation et les circonstances entourant l’allégation ainsi que la capacité de l’accusé à respecter une telle condition ;
  6. Dans les communautés où des programmes de traitement en matière de violence conjugale sont offerts et avec le consentement exprès de l’accusé, une condition exigeant que l’accusé assiste à tous les rendez-vous requis aux fins du traitement et respecte toutes les conditions connexes.

Les procureurs de la Couronne devraient toujours chercher à éviter les situations qui pourraient avoir l’effet de victimiser le plaignant à nouveau. Les procureurs de la Couronne devraient s’assurer que les décisions ou les déclarations faites à l’étape de la mise en liberté provisoire n’ont pas comme effet de forcer le plaignant et les enfants à quitter la résidence familiale ou la communauté, ou d’exercer une pression en ce sens.

Lorsque l’accusé est mis en liberté, une copie des conditions imposées doit être remise au plaignant. Dans les cas où le plaignant a déménagé dans une autre communauté, les procureurs de la Couronne ou les coordonnateurs des témoins de la Couronne devraient s’assurer que le service de police le plus près du plaignant soit informé des conditions de la mise en liberté. Le service de police de la communauté de l’accusé et celui de la communauté du plaignant devraient recevoir des copies des conditions de la mise en liberté.

Dans certains cas, il est possible que la police demande conseil aux procureurs de la Couronne pour savoir si elle devrait mettre en liberté un suspect avant le dépôt d’accusations. Il est également possible qu’un accusé demande une modification des conditions énoncées dans la citation à comparaître ou dans la promesse. Dans toutes ces situations, les procureurs de la Couronne doivent veiller à ce que la police leur ait fourni tous les détails de l’affaire et les renseignements pertinents avant de fournir des conseils sur la question de la mise en liberté provisoire ou avant de déterminer les modifications qui devraient être autorisées et celles qui devraient être contestées. Si un accusé a été arrêté et ensuite mis en liberté par la police aux termes d’une citation à comparaître ou d’une promesse, les procureurs de la Couronne devraient examiner les conditions et déterminer si elles sont adéquates afin de protéger le plaignant et les enfants, le cas échéant. Si nécessaire, les procureurs de la Couronne devraient demander un mandat ou une modification des conditions aux termes des articles 502(1) ou 512 du Code criminel.

Lorsque le tribunal décide de mettre en liberté un accusé dans des circonstances où les procureurs de la Couronne jugent que le plaignant ou les autres membres de la famille peuvent être exposés à un risque, une demande de révision de cautionnement devrait être envisagée sur-le-champ, après consultation du PFC ou de son délégué.

Les procureurs de la Couronne devraient toujours envisager de recommander une ordonnance interdisant à l’accusé de communiquer avec le plaignant ou d’autres personnes, le cas échéant, aux termes des art. 516(2) ou 515(12) du Code criminel.

Tout au long du processus de mise en liberté provisoire, les procureurs de la Couronne ou les coordonnateurs des témoins de la Couronne doivent tenir le plaignant informé des procédures et de tout développement pouvant avoir une incidence sur la sécurité du plaignant. Les coordonnateurs des témoins de la Couronne doivent aviser les procureurs de la Couronne de tout renseignement fourni par le plaignant qui pourrait être pertinent dans le cadre du processus de mise en liberté provisoire ou qui pourrait avoir des répercussions sur la preuve.

3.3. Préparation des témoins et rôle des coordonnateurs des témoins de la Couronne

La préparation des témoins est une fonction importante dans le cadre d’une poursuite en matière de violence conjugale. Les procureurs de la Couronne et les coordonnateurs des témoins de la Couronne devraient travailler de concert afin de préparer les plaignants à la procédure judiciaire pénale. Une attention particulière doit être accordée à l’historique et au contexte liés aux témoins afin que le processus de préparation tienne compte de leurs besoins. Au cours de cette préparation, les procureurs de la Couronne ou les coordonnateurs des témoins de la Couronne devraient veiller à ce que les étapes suivantes soient suivies :

  1. Si possible, rencontrer le plaignant le plus tôt possible après que les accusations ont été portées et avant toute procédure dans le cadre de laquelle le plaignant pourrait être appelé à témoigner ;
  2. Si possible, communiquer avec le plaignant dans la langue de son choix ou vérifier si une personne capable de communiquer dans cette langue peut être présente lors des rencontres avec le plaignant ;
  3. Expliquer le rôle des procureurs de la Couronne et des avocats de la défense dans les procédures criminelles ;
  4. Expliquer le rôle des coordonnateurs des témoins de la Couronne ;
  5. Expliquer le rôle d’un témoin à la cour ;
  6. Évaluer la fiabilité du plaignant en tant que témoin ;
  7. Dire au plaignant ou au témoin qu’il doit témoigner avec sincérité ;
  8. Signaler au plaignant toutes les conditions imposées à l’accusé pour sa mise en liberté et déterminer si le plaignant a des inquiétudes face au respect de ces conditions par l’accusé ;
  9. Confirmer que le plaignant a été informé des services communautaires disponibles ;
  10. Tenter de répondre à toute question du plaignant et discuter de toute préoccupation continue en matière de sécurité ;
  11. Veiller à ce que le plaignant ait été informé du fait qu’il peut déposer une déclaration de la victime.

Les procureurs de la Couronne ou les coordonnateurs des témoins de la Couronne doivent examiner avec le plaignant la déclaration donnée à la police. Dans les cas où les coordonnateurs des témoins de la Couronne examinent une déclaration avec le plaignant, ils doivent documenter les détails de cette rencontre et informer les procureurs de la Couronne de tout nouveau renseignement ou de tout renseignement incompatible fourni par le plaignant.

Les procureurs de la Couronne doivent informer l’avocat de la défense sur-le-champ si de nouveaux renseignements ou des renseignements incompatibles avec une déclaration antérieure sont fournis par le plaignant ou un autre témoin.

3.4. Enjeux au procès

Lorsque le plaignant fait défaut de se présenter devant le tribunal, les procureurs de la Couronne doivent faire tout ce qui est raisonnablement possible pour déterminer la cause de l’absence du plaignant. Les procureurs devraient généralement demander un ajournement à moins qu’ils soient en mesure de procéder sans assigner le plaignant à témoigner.

Dans les cas où les procureurs de la Couronne envisagent de demander un mandat contre le plaignant, ils doivent, si possible, obtenir l’autorisation préalable du PFC ou de son délégué. Si une telle autorisation n’est pas possible, les procureurs doivent rédiger une note de service expliquant leur décision et l’ajouter au dossier.

Si les procureurs obtiennent un mandat contre le plaignant, ils devraient informer la police des circonstances qui ont mené à la délivrance du mandat. Habituellement, les procureurs de la Couronne conseilleront à la police de chercher à savoir auprès du plaignant la raison pour laquelle il ne s’est pas présenté devant le tribunal, et de remettre le plaignant en liberté dès que possible après qu’il ait pris l’engagement de se présenter au tribunal, au besoin.

Dans les cas de violence de conjugale, il est très fréquent que les plaignants soient réticents à participer au processus de justice pénale ou refusent de le faire. Afin de maximiser les chances que le plaignant participe au processus, les procureurs de la Couronne et les coordonnateurs des témoins de la Couronne doivent travailler ensemble et fournir du soutien et de l’information aux plaignants tout au long du processus. Il est particulièrement important de communiquer avec le plaignant le plus tôt possible.

Dans la vaste majorité des cas, les procureurs de la Couronne doivent chercher à obtenir une ordonnance limitant la publication de renseignements qui permettraient d’établir l’identité du plaignant dans les cas d’infractions d’ordre sexuel en vertu de l’article 486.4 du Code criminel.

Dans les cas où il y a un risque qu’un plaignant émette des réserves sur le fait de témoigner, les procureurs devraient envisager les mesures suivantes :

  1. Demander aux coordonnateurs des témoins de la Couronne ou à une autre personne de confiance d’intervenir tôt afin d’évaluer si le plaignant est prêt à prendre part au processus et de déterminer les raisons pour lesquelles il est réticent à y prendre part ;
  2. Examiner le dossier afin de déterminer s’ils devraient demander à la police d’obtenir une déclaration sous serment enregistrée du plaignant ;
  3. Présenter une demande auprès du tribunal pour que des mesures permettant de faciliter le témoignage soient prises, par exemple une ordonnance :
    1. Permettant à une personne de confiance d’être présente dans la salle d’audience en vertu de l’art. 486.1(2.1) du Code criminel ;
    2. Permettant l’utilisation d’un écran ou d’un système de télévision en circuit fermé en vertu de l’art. 486.2(2.1) du Code criminel ;
    3. Dans de rares cas, excluant le public de la salle d’audience pendant que le plaignant témoigne en vertu de l’art. 486(1) du Code criminel.

Si le plaignant refuse de témoigner, les procureurs de la Couronne devraient déterminer si d’autres éléments de preuve admissibles sont suffisants pour prouver l’infraction de violence conjugale. Les procureurs de la Couronne peuvent envisager de dispenser le plaignant de témoigner sans qu’il y ait de conséquences.

Si le plaignant témoigne, mais ne se souvient pas des faits ou si son témoignage est différent des déclarations antérieures qu’il a faites, les procureurs de la Couronne devraient examiner les diverses options pouvant permettre la présentation d’un témoignage crédible et fiable du plaignant devant la cour, comme :

  1. Demander l’autorisation de montrer au plaignant sa déclaration antérieure, afin de lui rafraîchir la mémoire ;
  2. Demander l’autorisation de contre-interroger le plaignant comme un témoin opposé, en vertu de l’art. 9(1) de la Loi sur la preuve au CanadaFootnote 1 ;
  3. Demander l’autorisation de contre-interroger le plaignant concernant les déclarations antérieures incompatibles, en vertu de l’art. 9(2) de la Loi sur la preuve au Canada ;
  4. Demander l’autorisation de présenter une preuve de déclaration antérieure incompatible pour établir la véracité de son contenu, conformément au jugement de la Cour suprême du Canada dans R c KGBFootnote 2 ;
  5. Demander l’autorisation de présenter une preuve des déclarations antérieures extrajudiciaires à titre de preuve res gestae (par exemple, le ouï-dire des policiers, les enregistrements des services d’urgence 911 ou de la police).

4. Peine

Lorsque l’accusé plaide coupable ou est déclaré coupable de violence conjugale, les observations sur la peine présentées par les procureurs de la Couronne devraient veiller à la sécurité du plaignant et des autres membres de la famille à long terme. Selon l’article 718.2a)(ii) du Code criminel, les mauvais traitements infligés à un époux, un conjoint de fait ou un enfant constituent une circonstance aggravante aux fins de la détermination de la peine, et les tribunaux ont conclu que la dénonciation et la dissuasion sont d’importants objectifs de la détermination de la peine dans les cas de violence conjugale. Au titre de l’article 718.04 du Code criminel, le tribunal accorde une attention particulière à ces objectifs lorsque la victime est membre d’une population vulnérable. Aux termes de l’article 718.201 du Code criminel, le tribunal qui impose une peine doit prendre en considération la vulnérabilité accrue des victimes de sexe féminin en accordant une attention particulière lorsqu’elles sont également autochtones.

Dans les cas mettant en cause des contrevenants autochtones, il faut accorder une attention particulière au principe de retenue énoncé à l’art. 718.2e) tel qu’expliqué par la Cour suprême du Canada dans R c GladueFootnote 3 et R c IpeeleeFootnote 4. Ce principe exige que toutes les sanctions substitutives applicables soient prises en considération, compte tenu des facteurs suivants : a) les facteurs systémiques ou historiques distinctifs qui peuvent être une des raisons pour lesquelles le contrevenant autochtone se retrouve devant les tribunaux ; et b) les types de procédures de détermination de la peine et de sanctions qui, dans les circonstances, peuvent être appropriées à l’égard du contrevenant en raison de son héritage ou attaches autochtones.

Les procureurs de la Couronne devraient avoir recours aux ressources communautaires, professionnelles et thérapeutiques, notamment les programmes de guérison autochtones axés sur la culture, qui sont offertes dans le territoire et qui pourraient contribuer au traitement de l’accusé et empêcher que la violence ne se reproduise entre les partenaires qui choisissent de continuer leur relation.

Les procureurs de la Couronne devraient également prendre note des facteurs suivants :

  1. Lorsqu’un accusé a auparavant été déclaré coupable d’une infraction avec violence contre un partenaire intime, les procureurs devraient se reporter à l’art. 718.3(8) du Code criminel selon lequel le tribunal peut infliger une peine d’emprisonnement supérieure à la peine d’emprisonnement maximale prévue pour l’acte criminel. Les procureurs de la Couronne pourraient avoir à consulter les dossiers de la police et des tribunaux pour obtenir des renseignements supplémentaires en vue de déterminer s’il y a eu déclaration de culpabilité antérieure pour une infraction de violence contre un partenaire intime au sens de l’article 2.
  2. Dans la plupart des circonstances, les absolutions conditionnelles ou inconditionnelles ne conviennent pas dans les cas de violence conjugale, sauf dans des situations extraordinaires et convaincantes, puisqu’elles ne reflètent pas adéquatement les objectifs de dénonciation de la violence conjugale et de dissuasion de commettre de telles infractions. Un accusé qui a complété avec succès un processus de traitement en vertu d’un programme établi par un tribunal thérapeutique constitue un exemple de circonstances extraordinaires et convaincantes pouvant donner ouverture à une absolution. L’évaluation de savoir si une absolution est appropriée doit être évaluée au cas par cas.
  3. Il convient d’envisager une ordonnance de probation assortie de conditions selon lesquelles l’accusé doit participer à un programme thérapeutique de prévention de la violence. Au besoin, des conditions visant à assurer la sécurité du plaignant et des autres membres de la famille, y compris une condition interdisant à l’accusé de communiquer avec le plaignant, devraient être recommandées. 
  4. Les procureurs de la Couronne doivent s’assurer que le plaignant a eu une possibilité raisonnable pour préparer et soumettre une déclaration de la victime, conformément à l’art. 722 du Code criminel. Si aucune déclaration de la victime n’a été déposée, les procureurs de la Couronne pourraient devoir obtenir des renseignements supplémentaires au sujet de la situation personnelle de la victime pour en informer le tribunal, en vue de satisfaire à l’article 718.04 du Code criminel.
  5. Les procureurs de la Couronne devraient envisager de recommander une ordonnance interdisant la possession d’armes ou d’armes à feu en vertu des articles 109 (obligatoire) et 110 (discrétionnaire) du Code criminel. Par contre, les procureurs doivent tenir compte du besoin de chasser à des fins de subsistance ou pour des raisons culturelles qui peuvent justifier la levée de l’ordonnance en vertu de l’art. 113 du Code criminel
  6. Les procureurs de la Couronne devraient demander des ordonnances aux termes des art. 114 et 115 du Code criminel, selon lesquelles le permis d’armes à feu doit être remis et confisqué lorsqu’une ordonnance d’interdiction a été imposée. 
  7. Les procureurs de la Couronne doivent envisager de demander une ordonnance de confiscation de toute arme ou de munitions utilisées dans le cadre de l’infraction de violence conjugale ;
  8. Les procureurs de la Couronne devraient envisager de demander une ordonnance de prélèvement d’échantillons de substances corporelles en vertu de l’art. 487.051 du Code criminel.
  9. Lorsqu’une peine d’emprisonnement est demandée, les procureurs de la Couronne devraient envisager de demander une ordonnance aux termes de l’art. 743.21 du Code criminel interdisant à l’accusé de communiquer directement ou indirectement avec le plaignant ou un témoin pendant la période de garde.
  10. Les procureurs de la Couronne ne devraient généralement pas envisager de recommander une peine avec sursis en vertu de l’art. 742.1 du Code criminel lorsqu’un accusé s’est déjà vu imposer une peine avec sursis pour une infraction liée à la violence conjugale. Avant de demander ou d’approuver une peine avec sursis pour un accusé qui a déjà reçu une telle peine à l’égard d’une infraction liée à la violence conjugale, les procureurs de la Couronne doivent d’abord obtenir l’approbation du PFC ou de son délégué.

Les procureurs de la Couronne, assistés des coordonnateurs des témoins de la Couronne, doivent prendre les mesures raisonnables pour veiller à ce que le plaignant soit informé de la peine infligée à l’accusé et des procédures d’appel qui ont été intentées.

5. Mesures de rechange aux poursuites

Les procureurs de la Couronne ne peuvent avoir recours à la déjudiciarisation, aux mesures de rechange ou aux sanctions extrajudiciaires dans les affaires de violence conjugale que s’ils obtiennent le consentement préalable du PFC ou de son délégué.

De telles mesures de déjudiciarisation ne peuvent être adoptées que dans les cas où il y a une possibilité raisonnable de condamnation et après examen des sections 2 et 3 de la directive intitulée « 3.8 Les mesures de rechange » du Guide du SPPC et des avis du plaignant, de la police et d’autres fonctionnaires et thérapeutes professionnels qui peuvent contribuer à évaluer si le règlement au moyen de mesures de rechange est approprié. Si le plaignant est en désaccord ou a des réticences à l’égard des mesures de rechange, les procureurs de la Couronne doivent s’enquérir des raisons qui sous-tendent le désaccord ou les réticences du plaignant. Ces raisons sont des facteurs dont les procureurs de la Couronne doivent tenir compte lorsqu’ils déterminent s’il est dans l’intérêt public de mettre fin à la poursuite au moyen de mesures de rechange.

6. Le recours à des engagements aux termes de l’article 810

Avant d’avoir recours à l’art. 810 du Code criminel dans les affaires de violence conjugale, les procureurs de la Couronne doivent obtenir le consentement du PFC ou de son délégué. Les procureurs et le PFC doivent tenir compte des principes de justice autochtones pour décider s’il y a lieu d’imposer un engagement de ne pas troubler l’ordre public.

On peut avoir recours à l’art. 810 du Code criminel lorsqu’il n’y a pas de perspective raisonnable de condamnation en fonction de la preuve, mais qu’il y a une perspective raisonnable de rencontrer le seuil requis pour un engagement. Dans un tel cas, les procureurs de la Couronne doivent s’assurer que la défense comprend que les accusations de violence conjugale ne sont pas suspendues ou retirées en raison de la volonté de l’accusé de se conformer à un engagement en vertu de l’art. 810, mais plutôt en fonction du fait que le plaignant craint raisonnablement pour sa sécurité, ou celle d’autres membres de sa famille ou la sécurité de biens.

On peut également avoir recours à l’art. 810 lorsqu’en fonction de la preuve, il existe une probabilité raisonnable de condamnation, mais que dans les circonstances, l’intérêt public ne serait pas mieux servi par la tenue d’une poursuite. Avant de demander le consentement du PFC, les procureurs de la Couronne doivent obtenir l’avis du plaignant, de la police et des autres fonctionnaires responsables de l’administration de la justice ou de thérapeutes professionnels. En général, un engagement de ne pas troubler l’ordre public est approprié dans les circonstances suivantes :

  1. Le plaignant accepte une telle décision ;
  2. La violence en cause était minimale ;
  3. L’accusé n’a aucun antécédent en matière de violence, que ce soit avec ce plaignant ou d’autres personnes ;
  4. Il existe un plan de sécurité réaliste pour veiller à ce que la violence future soit évitée ;
  5. Les renseignements concernant le traitement de l’accusé et les autres mesures de réadaptation sont conformes à l’objectif d’éviter la violence future ;
  6. Des ressources sont offertes dans la communauté pour contrôler efficacement le respect des engagements de ne pas troubler la paix, par exemple, par la police ou les services de probation.

Si l’accusé se voit imposer un engagement aux termes de l’art. 810, les procureurs de la Couronne ou les coordonnateurs des témoins de la Couronne doivent s’assurer que le plaignant comprend les conditions de l’engagement et les conséquences du non-respect de cet engagement par l’accusé.

[ Précédente | Table des matières | Suivante ]

Date de modification :