3.20 Le régime des comparutions pour manquement

Guide du Service des poursuites pénales du Canada

Ligne directrice de la directrice en vertu de l'article 3(3)(c) de la Loi sur le directeur des poursuites pénales

Le 7 Janvier 2020

Table des matières

1. Introduction

Le projet de loi C-75 s'agit d'une initiative parlementaire visant à remédier aux délais dans le système de justice. Parmi les aspects importants de ce projet de loi, on compte les comparutions pour manquement comme nouveau moyen de traiter les infractions contre l'administration de la justice (ICAJ), soit des infractions perpétrées contre l'intégrité du système de justice pénale, notamment les manquements présumés à certaines conditions de mise en liberté sous caution. Les dispositions pertinentes du projet de loi C-75 en la matière qui modifient le Code criminel en vue de prévoir les comparutions pour manquement entrent en vigueur le 18 décembre 2019Note de bas de page 1. Ce chapitre a pour objet de donner un aperçu et de fournir des directives aux procureurs à cet égard.

2. Aperçu du régime des comparutions pour manquement

En vertu des nouvelles dispositions du Code criminel, les agents de police ou les procureurs peuvent décider de traiter les infractions contre l'administration de la justice dans le cadre de comparutions pour manquement au lieu d'inculper le prévenu d'une nouvelle infraction et de recourir à l'article 524 du Code. Ces comparutions ne sont possibles que lorsque l'infraction contre l'administration de la justice présumée n'a pas causé des dommages à une victime, notamment corporels, moraux, matériels ou des pertes économiques. Lors de la comparution pour manquement, le juge ou le juge de paix examinera toute condition existante de la mise en liberté et pourrait décider de ne pas agir, de rendre une ordonnance de mise en liberté sous certaines nouvelles conditions ou d'ordonner la détention du prévenu, compte tenu des circonstances propres à l'accusé et à l'infraction.

Il importe de reconnaître qu'il y a comparution pour manquement lorsqu'un poursuivant « cherche à obtenir une décision » aux termes de l'article 523.1(2) du Code criminel. La nouvelle procédure n'a aucune incidence sur les pouvoirs des policiers de décider s'il convient ou non de porter des accusations, dans des provinces dans lesquelles les accusations n'ont pas besoin d'être approuvées. Les dispositions renforcent les pouvoirs discrétionnaires des policiers et des poursuivants en leur permettant de contraindre un accusé à comparaître pour manquement au lieu de déposer des accusations, le cas échéant, et lorsque l'on estime qu'un manquement prétendu devrait être portée à l'attention du juge de paix ou du juge.

Dans une comparution pour manquement, on examine essentiellement le statut de la mise en liberté sous caution ainsi que les conditions qui ont été imposées à la mise en liberté du prévenu après dépôt d'accusations concernant une infraction antérieure. Pour ce qui est de l'infraction présumée contre l'administration de la justice (qui ne figurera pas au casier judiciaire de l'accusé), la culpabilité ou l'innocence n'est pas prise en considération. Une fois la décision prise sur le statut de la mise en liberté du prévenu, toute accusation portée à l'égard de l'infraction contre l'administration de la justice est rejetée par le juge ou le juge de paixNote de bas de page 2.

Si un inculpé ne se présente pas à une comparution pour manquement, il ne peut être accusé d'une autre infraction pour défaut de comparution. La question peut être abandonnée, une autre audition peut lui être proposée ou encore il peut être accusé de l'omission initiale qui devait être examinée dans le cadre de la comparution pour manquement.

3. Adoption du régime - contexte et intention du législateur

Le projet de loi C-75 visait principalement à traiter la question des délais dans le système de justiceNote de bas de page 3.

La question des infractions contre l'administration de la justice s'est posée en partie après une étude d'un an sur le délai effectuée par le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles (Comité sénatorial) qui a fait l'objet d'un rapport final publié en juin 2017Note de bas de page 4. Cette étude s'est concentrée entre autres sur les infractions contre l'administration de la justice, notamment l'omission de se conformer aux conditions d'une mise en liberté sous caution, le défaut de comparution et le manquement à une ordonnance de probation. Celle-ci a révélé une augmentation du nombre de personnes accusées d'une ICAJ, malgré la baisse constante du nombre et de la gravité d'autres infractions pénales au CanadaNote de bas de page 5.

Les questions quant au nombre considérable d'ICAJ dans le système de justice a amené le Comité sénatorial à examiner d'autres options, jusqu'à même envisager la décriminalisation de ces infractions. En fin de compte, le Comité sénatorial a convenu ce qui suitNote de bas de page 6 :

Recommandation 33 : « Le Comité recommande que la ministre de la Justice priorise la réduction du temps d'audience consacré aux infractions contre l'administration de la justice et qu'elle développe, en collaboration avec les provinces et territoires, des solutions de rechange pour ce type d'infractions. »

Le gouvernement a répondu à la recommandation du Comité sénatorial en prévoyant des comparutions pour manquement pour changer la manière dont certaines infractions contre l'administration de la justice sont traitées afin de diminuer la pression qu'elles exercent sur le système de justice pénale et de réduire les délaisNote de bas de page 7. Cette approche permet une résolution extrajudiciaire rapide des infractions mineures, tout en assurant que seules des conditions raisonnables et nécessaires ont été imposées. Il s'agit d'une solution plus efficiente que le dépôt d'une nouvelle accusation criminelleNote de bas de page 8.

4. Comparutions pour manquement et contexte législatif

Le projet de loi C-75 a apporté d'autres modifications et effectué des ajouts aux dispositions sur la mise en liberté provisoire dans le Code criminel fournissant ainsi un certain contexte sur la manière d'interpréter la comparution pour manquement.

Tout d'abord, le principe de la retenue a été codifiéNote de bas de page 9 — il faut chercher en premier lieu à mettre en liberté le prévenu « à la première occasion raisonnable et aux conditions les moins sévères possibles dans les circonstances, notamment celles qu'il peut raisonnablement respecter […] ». Le libellé s'apparente étroitement à celui utilisé par la Cour suprême du Canada dans R c AnticNote de bas de page 10. Selon l'article 493.2, dans toute décision sur la mise en liberté, le juge de paix ou le juge doit « accorder une attention particulière à la situation des prévenus autochtones » et à des « prévenus appartenant à des populations vulnérables qui sont surreprésentées au sein du système de justice pénale et qui souffrent d'un désavantage lorsqu'il s'agit d'obtenir une mise en liberté au titre de la présente partie ».

Ensuite, conformément au libellé de l'art. 493.1, et au « principe de l'échelle » énoncé dans Antic, d'autres dispositions ont été ajoutées à l'art. 515, codifiant davantage le principe de la retenue. Par exemple, aux termes de :

  1. l'art. 515(2.01), le poursuivant doit démontrer les raisons pour lesquelles toute forme moins sévère de mise en liberté serait inadéquate;
  2. l'art. 515(2.02), le juge de paix doit préférer l'obligation de s'engager à verser une somme d'argent à celle du dépôt d'une somme d'argent si le prévenu ou le cas échéant la caution possèdent des biens recouvrables par des moyens raisonnables;
  3. l'art. 515(2.03), avant de rendre une ordonnance prévoyant l'obligation, pour le prévenu, d'avoir une caution, le juge de paix doit être convaincu que cette forme de mise en liberté est la moins sévère possible pour le prévenu dans les circonstances.

Finalement, la condition de non-consommation d'alcool ou de drogue ne figure plus expressément dans la liste des conditions pouvant être imposées par un agent de la paix qui décide de mettre un accusé en liberté. Ceci cadre bien avec le libellé de l'art. 493.1 selon lequel il faut imposer des conditions que le prévenu puisse « raisonnablement respecter ». Pour qu'un agent de la paix puisse imposer une telle condition, il devra démontrer que celle-ci est raisonnable est nécessaire pour assurer la sécurité des victimes ou des témoins de l'infractionNote de bas de page 11. Un juge de paix pourrait imposer une telle condition en recourant au pouvoir général qui lui est conféré d'imposer « toute autre condition raisonnable précisée, que le juge de paix estime indiquéeNote de bas de page 12 ».

5. Aperçu de l'approche de la Couronne – pondération de la sécurite publique avec l'intention du législateur

Pour décider ou non d'une comparution pour manquement, la Couronne doit prendre en considération les objectifs du législateur et les soupeser en fonction de la sécurité publique et de la victime d'une infraction présumée. Les objectifs du législateur sont les suivants : (1) décriminaliser la non-conformité aux conditions d'une mise en liberté sous caution de nature mineure ou « technique » et qui ne sont pas préjudiciables aux victimes; (2) réduire le lourd fardeau des ICAJ sur le système de justice pénale et (3) prévoir un processus rapide de modification des conditions de mise en liberté qui tienne compte des facteurs propres à l'accusé, notamment les troubles de santé mentale et neurocognitifs, comme l'ensemble des troubles causés par l'alcoolisation fœtale (ETCAF), les troubles liés à l'utilisation des substances, et l'indigenceNote de bas de page 13.

Idéalement, les ordonnances de mise en liberté aux termes de l'art. 515 auront été élaborées ab initio, pour veiller à ce qu'elles soient raisonnablement en mesure d'être respectées, réduisant ainsi la probabilité qu'une comparution pour manquement soit nécessaire. Toutefois, la situation de l'accusé peut changer au fil du temps. Il faudra alors revoir l'ordonnance originale ainsi que la conduite de celui-ci en liberté sous caution.

Dans la plupart des cas, l'existence ou non d'un préjudice physique ou financier causé à la victime sera manifeste dans le dossier de la Couronne. Il pourrait toutefois s'avérer plus difficile pour les procureurs de déterminer si celle-ci a souffert d'un préjudice émotionnel compte tenu du non-respect par l'accusé des conditions de la mise en liberté. Si cela ne ressort pas clairement du dossier de la Couronne, il faudrait que le bureau du procureur communique avec les victimes.

Lorsqu'une citation à comparaître a été délivrée à un prévenu afin qu'il comparaisse pour manquement ou qu'un poursuivant décide de procéder par comparution pour manquement relativement à une violation ayant donné lieu à des accusations, il doit prendre en considération la ligne directrice du chapitre 3.18 du Guide sur la mise en liberté provisoire par voie judiciaire. Le procureur doit prêter une attention particulière aux facteurs propres à l'accusé susceptibles d'avoir vraisemblablement contribué au défaut ou à l'incapacité de se conformer aux conditions imposée, ainsi que l'art. 493.2 du Code criminel, le cas échéant.

6. Comparutions pour manquement et pratique

Les comparutions pour manquement établissent un nouveau processus dans le Code criminel en vertu duquel les infractions contre l'administration de la justice peuvent être résolues sommairement sans qu'une dénonciation sous serment ou qu'un procès soit nécessaire. On entend par infractions contre l'administration de la justice, l'omission de se conformer à une sommation, à une citation à comparaître, à une promesse, à une ordonnance de mise en liberté et de se présenter au tribunal comme exigé. Ce processus permet à un juge de paix ou à un juge d'examiner le caractère raisonnable d'une mise en liberté sous caution ou d'autres conditions à cet effet et de prendre toute mesure appropriée conforme à l'intention générale des modifications législatives connexes, comme susmentionnéNote de bas de page 14.

Il y a deux manières de recourir à ce processus. Premièrement, les agents de la paix ont un pouvoir discrétionnaire à cet égard. En vertu de l'art. 496 du Code criminel, ceux-ci peuvent délivrer une citation à comparaître à une personne afin qu'elle se présente à une comparution pour manquement. Ils doivent avoir des motifs raisonnables de croire que celle-ci a commis une infraction contre l'administration de la justice et que l'omission de se conformer ou de comparaître n'a pas causé de « dommages matériels, corporels, moraux ou des pertes économiques à une victimeNote de bas de page 15. » Une telle citation à comparaître est délivrée « sans porter d'accusation »; seul le statut de l'accusé quant à la mise en liberté provisoire concernant l'inculpation originale est examiné.

Deuxièmement, une dénonciation sous serment a été déposée dans le cadre de laquelle une accusation a été portée contre le prévenu concernant une infraction contre l'administration de la justice et la Couronne exerce son pouvoir discrétionnaire aux fins d'une comparution pour manquement et non pour donner suite à l'accusation et recourir à l'article 524 du Code.

7. Compétence

L'article 523.1 du Code criminel énonce la compétence du juge de paix ou du juge pour instruire et trancher une comparution pour manquement. Si l'infraction contre l'administration de la justice découle d'une ordonnance de mise en liberté sous caution rendue par un juge de la Cour supérieure de juridiction criminelle au titre de l'article 522(3), le juge de paix doit ordonner que le juge de cette cour entende l'affaireNote de bas de page 16 ou dans tout autre cas, l'entendre lui-mêmeNote de bas de page 17.

Il y a un certain flottement quant à la mesure dans laquelle les provinces et les territoires appuieront la mise en œuvre des comparutions pour manquement, par exemple par le biais de tribunaux spécialisés où de telles auditions se tiendraient régulièrement. Toutefois, il ressort clairement de la disposition législative que lorsque le poursuivant cherche à obtenir une décision aux termes de l'article 523.1(2), le juge de paix doit entendre l'affaire dans le cadre d'une comparution pour manquement. Les procureurs doivent donc exercer leur pouvoir discrétionnaire conformément à la volonté du législateur en tenant dûment compte de la sécurité publique, et recourir aux comparutions pour manquement, au besoin.

Soulignons que l'article 523.1 ne prévoit aucun équivalent législatif à l'article 518(1) selon lequel le juge de paix peut lors d'une enquête pour mise en liberté provisoire, faire les enquêtes « sous serment ou autrement  » qu'il estime opportunes et prendre en considération « toute preuve qu'il considère plausible ou digne de foi.  » Même si les modifications établissant les comparutions pour manquement ne prévoient pas de procédure exacte ou le genre de preuve envisagé, les procureurs doivent garder à l'esprit l'objectif de la loi qui est de réduire la pression sur les ressources judiciaires et les délais.Note de bas de page 18

8. Conditions préalables et processus

Pour qu'un juge instruise une comparution pour manquement, il faut que certaines conditions préalables soient remplies. En premier lieu, il faut que l'agent de la paix ait délivré une citation à comparaître en vertu de l'art. 496 ou que des accusations aient été portées. En deuxième lieu, le poursuivant doit exercer son pouvoir discrétionnaire pour « chercher à obtenir une décision » dans le cadre d'une comparution pour manquementNote de bas de page 19. Si les conditions ont été remplies, il faudra déterminer au cours de l'audition si l'accusé a omis de se conformer à une ordonnance de mise en liberté sous caution ou de se présenter au tribunal, et dans l'affirmative examiner les conditions de la mise en liberté.

S'il est convaincu qu'une infraction contre l'administration de la justice a été perpétrée et n'a pas causé de dommages matériels, corporels ou moraux et des pertes économiques à une victime, le juge ou le juge de paix doit examiner les conditions pertinentes de la mise en liberté et selon le cas :

9. Conséquences

Certaines conséquences découlent systématiquement d'une comparution pour manquement. Lorsqu'un juge ou le juge de paix rend une décision dans le cadre d'une telle audition et qu'une accusation a été portée, il doit « la rejeter »Note de bas de page 25. Dans une comparution pour manquement, on s'attarde sur la question de savoir si l'accusé a omis ou non de se conformer à une ordonnance ou de comparaître. Aucune déclaration de culpabilité ou d'innocence n'est prononcée et l'infraction contre l'administration de la justice n'est pas inscrite au casier judiciaire. Une fois qu'une décision est rendue dans le cadre d'une comparution pour manquement, aucune dénonciation ne peut être faite ni aucun acte d'accusation présenté à l'égard du prévenu pour manquement aux exigences requises ou défaut de comparaître qui étaient examinés dans le cadre de l'auditionNote de bas de page 26. Comme susindiqué, si l'accusé ne se présente pas à une comparution pour manquement suite à une citation à comparaître délivrée en vertu de l'art. 496, aucune accusation ne peut être portée contre lui à cet égardNote de bas de page 27. Lorsque c'est le cas, l'affaire peut être abandonnée ou une autre audition peut être proposée au prévenu ou encore des accusations peuvent être portées à son encontre relativement au manquement qui devait être examiné dans le cadre de la comparution pour manquement.

10. Arrestation (art. 495.1) et annulation de la mise en liberté sous caution (art. 524)

L'agent de la paix conserve le pouvoir d'arrestation sans mandat afin de contraindre le prévenu à comparaître devant un juge ou un juge de paix en vertu de l'article 524 du Code. Aux termes de l'article 495.1 du Code criminel, un agent de la paix peut arrêter un prévenu sans mandat afin qu'il soit conduit devant un juge ou un juge de paix au titre de l'art. 524. Celui-ci doit avoir des motifs raisonnables de croire qu'un prévenu a violé ou est sur le point de violer une sommation, une citation à comparaître, une promesse ou une ordonnance de mise en liberté ou qu'il a commis un acte criminel alors qu'il était visé par une sommation, une citation à comparaître, une promesse ou une ordonnance de mise en liberté. Ce pouvoir d'arrestation a été établi à l'art. 524(2) du Code et demeure le moyen de détenir un accusé sous garde aux fins d'une demande fondée sur l'art. 524.

L'article 524 du Code criminel a été modifié, mais demeure un moyen permettant à un poursuivant de chercher à obtenir l'annulation d'une mise en liberté sous caution. La structure de l'article 524 s'apparente à celle de l'article 523.1 en matière de comparution pour manquementNote de bas de page 28. Toutefois, ces dispositions sont également très différentes. En vertu de l'article 524(3), si le juge de paix conclut que le prévenu a violé une ordonnance de mise en liberté sous caution (ou qu'il existait des motifs raisonnables de croire que celui-ci avait commis un acte criminel alors qu'il était en liberté sous caution), il doit annuler l'ordonnanceNote de bas de page 29 et rendre une ordonnance de détention sous garde exécutoire, sauf si le prévenu réussi à faire valoir que cela n'est pas justifiéNote de bas de page 30. La comparution pour manquement offre ainsi une approche plus souple pour traiter les manquements présumés à certaines conditions d'une mise en liberté sous caution. Le juge de paix siégeant peut décider de ne pas agir ou de modifier les conditions de la mise en liberté sous caution en vue d'éviter d'autres manquements. Même s'il peut détenir le prévenu sous garde relativement à l'accusation originale, il n'y a aucun renversement du fardeau de la preuve du fait de la violation présumée. Les procureurs doivent donc soigneusement se demander si une comparution pour manquement ou une audition au titre de l'article 524 est préférable.

11. Exercice du pouvoir discrétionnaire du poursuivant aux fins d'une comparution pour manquement

Comme susmentionné, les comparutions pour manquement constituent une solution de rechange à l'inculpation du prévenu pour une infraction contre l'administration de la justice. Le poursuivant a ainsi le pouvoir discrétionnaire de « chercher à obtenir une audition » lorsqu'une citation à comparaître a été délivrée ou que des accusations ont été portées. Par conséquent, s'il décide de procéder par comparution pour manquement en non par voie de mise en accusation concernant une ICAJ, le poursuivant doit prendre en considération le critère de la décision d'intenter des poursuites, y compris les principes énoncés au chapitre 2.3 du Guide, notamment la nature de l'infraction reprochée.

Dans l'examen de l'intérêt public pris en compte dans la décision d'intenter des poursuites, le poursuivant doit, en ce qui concerne les comparutions pour manquement, prendre en considération l'intention du législateur à cet égard. La plupart du temps, ces comparutions permettent de faire face plus efficacement au défaut de se conformer à une ordonnance de mise en liberté et de se présenter au tribunal. En vue de réduire les délais et d'accroître l'efficacité du système de justice, les procureurs devraient régler les manquements de nature mineure ou technique dans le cadre d'une comparution pour manquement ne nécessitant aucun dépôt d'accusations.

Lorsque l'on exerce le pouvoir discrétionnaire de décider d'une comparution pour manquement, il faut déterminer la mesure dans laquelle la situation du délinquant a joué un rôle dans la perpétration de l'infraction contre l'administration de la justice en question. Par exemple, si l'on allègue que l'accusé a omis de comparaître, une condition ou un problème propre à celui-ci de nature sous-jacente, comme l'indigence, les troubles liés à l'utilisation des substances, ou un trouble de santé mentale ayant contribué à cette omission serait un facteur pertinent à prendre en considération. De tels facteurs peuvent permettre de décider si une poursuite ou une comparution pour manquement est le meilleur moyen d'assurer la conformité ultérieure aux ordonnances judiciaires.

Les comparutions pour manquement donnent l'occasion aux tribunaux d'examiner les conditions de mise en liberté existantes et sont le prolongement du processus de mise en liberté sous caution. Elles visent à réduire le nombre d'ICAJ et donc à répondre de manière personnalisée aux manquements sans recourir à la détention ou au dépôt de nouvelles accusations. Le procureur devrait déterminer si le principe de la retenue est bien saisi dans la mise en liberté sous caution existante et si l'accusé est un membre d'une population surreprésentée, comme les Autochtones. Dans tous les cas, lorsqu'il envisage une comparution pour manquement, le procureur doit appliquer les principes liés à la mise en liberté provisoire énoncés aux chapitres 3.18 et 3.19 du Guide.

Dans certains cas, il peut sembler évident que l'accusé ne sera pas en mesure de respecter les conditions de mise en liberté imposées. Par exemple si l'on impose à un sans-abri un couvre-feu, il sera probablement impossible pour celui-ci de s'y conformer. Dans ce cas, on encourage dès lors le procureur à exercer immédiatement son pouvoir discrétionnaire en ce qui a trait aux ICAJ et à solliciter la modification des conditions de mise en liberté avec le consentement de l'accusé.

Le dépôt d'une accusation par des agents de police relativement à une ICAJ au lieu d'une citation à comparaître peut être un facteur pertinent, mais non déterminant lorsque le procureur exerce son pouvoir discrétionnaire. Il pourrait s'avérer nécessaire de leur demander pourquoi ils ont décidé de porter une accusation au lieu de renvoyer l'affaire afin qu'elle soit instruite dans le cadre d'une comparution pour manquement. Ces renseignements pourraient fournir plus de contexte au procureur lorsqu'il exerce son pouvoir discrétionnaire compte tenu du critère de la décision d'intenter des poursuites, et lorsqu'il décide ou non de continuer la poursuite ou de solliciter une comparution pour manquement.

12. Facteurs pertinents à prendre en considération

Pour déterminer s'ils doivent chercher à obtenir une comparution pour manquement, les procureurs devraient prendre en considération les facteurs suivants :

Il importe de reconnaître que malgré l'importance de régler rapidement les manquements allégués, toutes les affaires ne peuvent être traitées comme il se doit par comparution pour manquement. Dans certains cas, les procureurs peuvent et devraient continuer de faire valoir l'article 524 et solliciter une annulation de la mise en liberté sous caution. Voici les facteurs qui auront une incidence sur la décision de la Couronne de solliciter une annulation en vertu de l'art. 524(4) et non une comparution pour manquement :

Les procureurs doivent garder à l'esprit que dans certains cas, l'annulation prévue à l'art. 524(4) constitue un bon moyen de renforcer les ordonnances de mise en liberté sous caution, en particulier lorsqu'il s'avère difficile pour l'accusé de se conformer à certaines conditions à la fois nombreuses et contradictoires de la mise en liberté. Même si en vertu de cette disposition, l'accusé doit réussir à faire valoir que sa détention n'est pas justifiée, la Couronne pourrait ne pas s'opposer à la mise en liberté, selon les cas.

13. Conclusion

Le projet de loi C-75 répond à la nécessité de moderniser et de simplifier le régime de mise en liberté sous caution et d'améliorer l'efficacité ainsi que l'efficience des procédures en prévoyant un moyen innovateur et plus souple de répondre aux violations alléguées aux conditions de mise en liberté sous caution et de réduire les délais inutiles. Les procureurs devraient recourir aux comparutions pour manquement dans les cas appropriés en vue de reconnaître l'intention du législateur et d'utiliser les ressources de la cour le plus efficacement possible. Il y aura en pratique des différences à l'échelle régionale, plus précisément entre les provinces dans lesquelles les accusations sont approuvées et celles où ce n'est pas le cas. Toutefois, l'établissement de telles auditions ainsi que les compétences et les pouvoirs des juges de paix sont clairement énoncés dans le Code criminel. Les procureurs doivent donc être disposés à recourir à ces nouvelles procédures, au besoin.


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