2.12 La divulgation de renseignements sur l’inconduite d’un agent — R c McNeil

Guide du Service des poursuites pénales du Canada

Ligne directrice du directeur donnée en vertu de l’article 3(3)(c) de la Loi sur le directeur des poursuites pénales

Révisé le 4 avril 2018

Table des matières

1. Introduction

L’arrêt R c McNeilNote de bas de page 1 de la Cour suprême du Canada a élargi l’étendue de la communication dans les affaires criminelles en imposant des obligations à la police et au ministère publicNote de bas de page 2. Ces obligations permettent de « réduire l’écart » entre la communication de la preuve par la partie principale en vertu de l’arrêt StinchcombeNote de bas de page 3 et la production d’éléments de preuve en possession de tierces parties au sens de l’arrêt O’ConnorNote de bas de page 4.

La présente directive oriente les procureurs fédéraux en vue de les aider à s’acquitter de ces obligations et de veiller à ce que notre pratique en matière de communication soit uniforme au sein du Service des poursuites pénales du Canada (SPPC). Les présentes lignes directrices permettent également d’étayer les conseils que les procureurs fédéraux donnent à la police et à d’autres organismes d’enquête quant au contenu de la divulgation par la partie principale et des lettres envoyées à de tierces parties pour obtenir suffisamment de renseignements en conformité avec les exigences de l’arrêt McNeil.

2. Résumé de la décision R c McNeil

La Cour dans McNeil a conclu que la police et les organismes d’enquête, à titre de partie principale, doivent remettre au ministère public, en communiquant la preuve, les conclusions d’inconduite grave de policiers ayant participé à l’enquête visant l’accusé. Ces renseignements pourraient être pertinents dans l’analyse de la fiabilité et la crédibilité des policiers. Tous ces renseignements ne seront pas nécessairement remis à la défense. Le ministère public doit exercer un rôle de gardien dans l’examen des documents et retenir ou retirer des renseignements qui n’ont aucune pertinence ou qui sont privilégiés. Cette fonction de gardien exige du ministère public une « analyse soigneuse » pour déterminer la pertinence des documents. En fin de compte, si les documents n’ont pas de lien apparent avec la crédibilité ou la fiabilité de la personne visée par l’enquête, ils ne devraient pas être communiqués à la défense. En outre, lorsque le ministère public est informé de l’existence de renseignements susceptibles d’être pertinents à l’égard de la poursuite engagée contre l’accusé, qui sont détenus par une entité de l’État (ou une autre tierce partie), le procureur a l’obligation de se renseigner et de tenter raisonnablement d’obtenir les renseignements en question. La Cour a reconnu que le poursuivant n’est pas tenu de se renseigner si l’information ne semble pas fondée. Par ailleurs, la défense peut toujours chercher à obtenir les renseignements en présentant une demande de type O’Connor.

3. Communication de renseignements sur l’inconduite d’un policier

Les obligations de divulgation s’appliquent à tous les membres policiers et civils du corps policier ou de l’organisme d’enquête, comme des traducteurs, des analystes de laboratoire médico-légal et des agents de surveillance électronique ainsi que les employés civils ayant joué plus qu’un rôle accessoire durant l’enquête. La procédure énoncée dans O’Connor ne s’applique plus aux renseignements concernant des actes d’inconduite grave par des policiers qui peuvent être assignés à témoigner ou qui ont participé à l’enquêteNote de bas de page 5 relative à l’accusé lorsque l’inconduite en question est « liée à l’enquête relative à l’accusé » ou « quand il est raisonnable de penser qu’elle risque d’avoir des répercussions sur la poursuite engagée contre l’accusé »; ce type de renseignements est dorénavant assujetti au régime de communication qui incombe à la partie principale établie dans Stinchcombe. Par conséquent, la police doit fournir au ministère public tout renseignement concernant l’inconduite d’un policier, dans l’un ou l’autre de ces deux cas, sans qu’il soit nécessaire d’en faire la demande.

La Cour suprême du Canada a reconnu qu’il se peut que certains policiers aient joué un rôle mineur ou périphérique dans l’enquête. Une certaine latitude est accordée au ministère public lorsque celui-ci doit établir si l’inconduite en question a un lien apparent avec la crédibilité ou la fiabilité du témoignage du policier. La Cour suprême affirme aussi que ce ne sont pas tous les actes ou toutes les allégations d’inconduite qui doivent être communiqués à la défense à titre de communication de la preuve par la partie principaleNote de bas de page 6, par exemple, des renseignements sur des mesures disciplinaires imposées pour retard au travail. Il n’est pas nécessaire de communiquer au ministère public des renseignements similaires de nature disciplinaire liés au fait que le policier ne prend pas soin de sa santé, qu’il a une tenue vestimentaire inappropriée et un aspect débraillé sur sa personne, ses vêtements ou l’équipement lorsqu’il est en devoir.

Il incombe au ministère public d’examiner les renseignements sur l’inconduite reprochée afin d’établir ce qui devrait être communiqué à l’accuséNote de bas de page 7. Cet examen vise à établir si les renseignements n’ont manifestement aucune pertinence, s’il faut les caviarder pour en retirer des renseignements personnels, ou s’il s’agit de renseignements privilégiés ou de renseignements en possession de tiers qui ne sauraient être communiqués. Le ministère public a également l’obligation d’aviser l’accusé qu’il retient des renseignements privilégiés ou des renseignements dans lesquels un tiers détient un droit à la protection de sa vie privée. Si les renseignements reçus de la police « n’ont manifestement aucune pertinence », ces renseignements n’ont pas à être communiqués à la défense.

(a) La teneur du régime de divulgation établi dans l’arrêt McNeil

Il faudrait fournir automatiquement au ministère public une liste de renseignements d’inconduite pour tous les policiers ayant pris part au dossier; le ministère public établira ensuite si le témoin ou le policier qui a pris part à l’enquête a véritablement joué un rôle périphérique. La police devrait indiquer sur le formulaire si elle s’oppose à la communication de tout renseignement figurant sur la liste et, dans l’affirmative, pour quels motifs elle s’y oppose.

Outre ces renseignements, la police devrait communiquer au ministère public les renseignements qui suivent sur chaque policier qui pourrait être appelé à témoigner ou ayant autrement participé à l’enquête, sauf ceux ayant joué un rôle véritablement périphérique dans l’enquête, comme en décidera le ministère public :

  1. Toute plainte et enquête sur les actes d’un policier entourant l’incident sur lequel repose l’accusation pesant contre l’accusé. (La police devrait communiquer au ministère public une copie du dossier d’enquête au sujet de cette catégorie précise de renseignements d’inconduite);
  2. Toute déclaration ou verdict de culpabilité prononcés en vertu du Code criminel ou de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances à l’égard desquelles un pardon n’a pas été accordé (dossier du Centre d’information de la police canadienne (CIPC));
  3. Toute accusation pendante en vertu du Code criminel et de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances;
  4. Toute déclaration ou verdict de culpabilité en vertu d’une autre loi fédérale ou provinciale (à l’exception de déclarations ou verdicts de culpabilité concernant des infractions mineures au Code de la route ou autres infractions mineures de nature réglementaire), y compris toute déclaration ou verdict de culpabilité en vertu de la Loi sur les services de police de la province visée ou de la Loi sur la Gendarmerie royale du CanadaNote de bas de page 8, à l’égard desquels un pardon n’a pas été accordé;
  5. Toute accusation pendante en vertu de la Loi sur les services de police d’une province ou de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada,
  6. Tout autre renseignement qui « se rapporte manifestement » à la crédibilité ou à la fiabilité du témoin policier devrait être soumis au ministère public qui en fera l’examen et vérifiera si ce renseignement est pertinent à l’égard de la poursuite ou de la défense de l’accusé.

L’arrêt McNeil n’établit pas de distinction entre une conclusion d’inconduite et les dossiers relatifs à la conclusion d’inconduite. Nous recommandons que la police soit initialement tenue de fournir au ministère public une liste des déclarations de culpabilité, des verdicts de culpabilité et des accusations pendantes, sans qu’il soit nécessaire d’en faire la demande. Le poursuivant devra ensuite établir si d’autres détails, y compris, au besoin, le dossier complet au sujet de l’enquête sur l’inconduite du policier, doivent lui être communiqués.

En ce qui concerne les catégories d’inconduite décrites sous les rubriques 2 à 6 ci-dessus, si le poursuivant est d’avis qu’il a besoin de connaître les circonstances ayant entouré l’inconduite en question pour l’aider à s’acquitter de son rôle de gardien (voir ci-après), il doit présenter une demande distincte de renseignements additionnels.

La production de dossiers disciplinaires et des dossiers d’enquête criminelle détenus par la police et qui ne font pas partie des dossiers que doit communiquer la partie principale, selon l’énumération ci-dessus, est régie par le régime de production des dossiers en la possession de tiers établi dans O’ConnorNote de bas de page 9.

(b) Le rôle de gardien du ministère public

L’arrêt McNeil souligne que le ministère public a un rôle important de gardien à jouer dans la communication de renseignements relatifs à l’inconduite d’un policierNote de bas de page 10. Les poursuivants ont l’obligation d’examiner les documents touchant l’inconduite avant de les communiquer à l’accusé. Ce rôle ne signifie pas que le ministère public communique l’ensemble des documents que lui a fourni la police, mais plutôt qu’il procède à une « analyse approfondie » en vue d’établir si les documents sont pertinents pour la défenseNote de bas de page 11.

Il incombe au ministère public à titre de gardien de déterminer quels policiers ont joué des rôles périphériques. Par exemple, un policier qui serait appelé à témoigner au procès ou à l’enquête préliminaire, ou bien qui témoignerait à moins d’un aveu de la défense, ne joue pas un rôle périphérique. De plus, le ministère public doit s’en remettre à son jugement pour déterminer si l’on peut considérer un type particulier d’inconduite comme grave, en tenant compte notamment des circonstances ayant entouré l’inconduite et de la date à laquelle elle a eu lieu, des répercussions de celle-ci sur la fiabilité et la crédibilité du policier, ainsi que de l’objet des accusations actuelles portées contre l’accusé.

Le ministère public devrait examiner les documents liés à la communication de type McNeil en vue de déterminer si les renseignements reçus sont manifestement sans pertinence pour la poursuite ou la défense. Si les renseignements s’avèrent sans lien apparent avec la crédibilité ou la fiabilité du témoin, ils ne devraient pas être communiqués à la défense. Le ministère public devrait également examiner tous les documents que lui a acheminés la police dans le cadre de communications de type McNeil en vue d’établir si les documents sont privilégiés en vertu de la common law ou d’une loi. Les renseignements privilégiés ne devraient pas être communiqués.

Le dossier d’enquête visant un policier et ayant mené à des conclusions d’inconduite ou à une déclaration de culpabilité qui contient certains renseignements pertinents peut également renfermer des renseignements personnels. Dans l’arrêt McNeil, la Cour a reconnu que la communication d’éléments de preuve non pertinents risque de prolonger les procès. Par conséquent, le ministère public devrait examiner la question de la communication en veillant à en éliminer tous les renseignements non pertinents et en imposant des restrictions de façon à minimiser les atteintes aux droits à la protection de la vie privée des tierces parties. Il peut s’avérer nécessaire de consulter les tierces parties afin d’évaluer ces droits Note de bas de page 12. Dans l’arrêt McNeil, la Cour a reconnu que le policier peut « présenter ses observations »Note de bas de page 13 sur les faits au ministère public pour l’aider à cerner les renseignements à l’égard desquels le policier possède des droits à la protection de sa vie privée, pour informer le procureur sur quoi se fondent les droits invoqués et pour discuter des restrictions à la communication susceptibles d’assurer le respect de ces droits.

4. L’obligation du ministère public de se renseigner suffisamment

La Cour semble indiquer dans McNeil que l’obligation du ministère public de se renseigner auprès de tierces parties vise tous les tiers, où qu’ils soient. En ce qui concerne l’obligation de se renseigner suffisamment, l’exigence minimale de pertinence est fondée sur l’existence de renseignements potentiellement pertinents, y compris des renseignements touchant à la crédibilité ou à la fiabilité des témoins dans une affaireNote de bas de page 14.

Si le ministère public apprend que des renseignements potentiellement pertinents se trouvent en la possession d’une tierce partie, y compris des renseignements touchant à la crédibilité ou la fiabilité des témoins dans une affaire, il a alors l’obligation de se renseigner suffisamment auprès de cette tierce partie. Quant à ce que constitue le fait d’être « informé », le ministère public pourrait l’apprendre de l’organisme d’enquête ou d’une autre source (par exemple en parcourant le rapport au procureur); l’existence de ces renseignements pourrait également découler des circonstances de l’affaire. En outre, le ministère public pourrait apprendre qu’une « tierce partie » a pris part à l’enquête. L’arrêt McNeil semble assimiler la « participation » d’une tierce partie à l’enquête à la probabilité raisonnable que cette tierce partie serait de ce fait en possession d’éléments de preuve potentiellement pertinents. En ce qui concerne l’interprétation de l’expression « a participé à l’enquête », le ministère public devrait être convaincu que la tierce partie a participé à l’enquête d’une façon importante ou avait des liens importants avec celle-ci, ce qui serait évalué au cas par cas.

Une simple demande de communication de documents en la possession de tierces parties, présentée par l’avocat de la défense, sans fondement établissant l’existence de ces documents, ne constitue pas de l’« information » qui déclencherait l’obligation en question. L’arrêt McNeil donne certaines précisions quant aux situations dans lesquelles l’obligation du ministère public de se renseigner suffisamment ne serait pas déclenchée – voir au paragraphe 49 : « À moins que l’information ne semble pas fondée [...] ». Pour mieux définir l’obligation du ministère public, il pourrait être utile de référer au paragraphe 30 de l’arrêt R c ChaplinNote de bas de page 15, (repris dans l’arrêt McNeil au paragraphe 29) pour examiner le cas où le ministère public conteste l’existence de documents qui seraient pertinents pour la défense :

«  […] Du moment que le ministère public affirme avoir rempli son obligation de produire, on ne saurait le contraindre à justifier la non-divulgation de renseignements dont il ignore ou nie l’existence. Le ministère public n’est donc tenu de rien faire d’autre tant que la défense n’a pas établi des motifs sur lesquels le juge qui préside peut se fonder pour conclure à l’existence d’autres renseignements qui sont peut-être pertinents.

Par pertinence, il faut entendre qu’il y a possibilité raisonnable que ces renseignements puissent aider l’accusé à présenter une défense pleine et entière. L’existence des renseignements faisant l’objet de contestation doit être assez clairement établie non seulement pour en révéler la nature, mais aussi pour permettre au juge qui préside de décider qu’ils pourront satisfaire au critère applicable aux renseignements que le ministère public est tenu de produire […]. »

Et plus loin, au paragraphe 32 :

« Outre qu’elle est nécessaire sur le plan pratique pour que les débats puissent avancer – ce dont je traite précédemment --, l’obligation pour la défense d’établir un fondement à sa demande de divulgation sert à empêcher des demandes qui reposent sur la conjecture et qui sont fantaisistes, perturbatrices, mal fondées, obstructionnistes et dilatoires. »

La demande de renseignements en possession d’une tierce partie devrait lui être faite directement par le ministère public, assortie d’une copie à la police. Elle devrait être faite par écrit pour que subsiste un dossier de la demande puisqu’une telle demande pourrait ultérieurement faire l’objet d’un examen par un tribunal. Le ministère public devrait bien entendu s’abstenir de donner des conseils juridiques en communiquant avec de tierces parties. L’obligation du ministère public de se renseigner suffisamment ne devrait pas être déléguée à l’organisme d’enquête. Puisque l’obligation du ministère public de se renseigner suffisamment auprès des tierces parties peut constituer un manquement à la déontologie de sa part si elle ne s’exerce pas avec toute la diligence nécessaire, il est essentiel que le ministère public conserve le contrôle sur ce processus.

Puisque la police est en meilleure position que le ministère public pour recevoir et gérer les éléments de preuve, le ministère public devrait informer les tierces parties dans la lettre de demande d’acheminer directement à l’organisme d’enquête les éléments de preuve potentiellement pertinents. C’est l’organisme d’enquête qui devrait s’occuper des éléments de preuve transmis par de tierces parties afin d’éviter que le ministère public puisse être assigné comme témoin dans les procédures. Si la tierce partie s’oppose à la protection d’éléments de preuve potentiellement pertinents, le ministère public devrait aviser l’avocat de la défense. L’accusé pourrait alors présenter une demande de type O’Connor.

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